Trop de souvenirs. Trop de sensations. Quelques photos. Pas grand chose, au fond.
L’Inde, c’est un mélange d’émotions et de sensations. Une histoire où s’emmêlent les religions, les croyances et les traditions, où la cruauté rivalise avec de grands gestes de bonté. On reste le souffle coupé devant la beauté du Taj Mahal, pouvant à peine imaginer tous ces artistes qui ont, patiemment, incrusté pierres précieuses et semi-précieuses dans un marbre immaculé. Ou ces artisanes, brodant finement des fresques murales de fils d’or et d’argent.
J’y ai appris, d’un guide fabuleux, que les harems étaient aussi destinés aux veuves des soldats tués au combat, et à qui l’empereur offrait un toit, pas toujours en échange de faveurs sexuelles. J’y ai aussi appris l’histoire de ce fils, qui voulant succéder au trône, a assassiné ces deux frères aînés pour devenir ainsi l’héritier. Qui a ensuite emprisonné son père qui, pendant 8 ans, a regardé le mausolée de sa conjointe aimée avant de l’y rejoindre.
La rue? Ce sont des odeurs, celles du curry, prédominantes, et celles plus subtiles d’ail, d’oignons et d’herbes. Des odeurs qui s’incrustent. C’est aussi ces montagnes de déchets, de bouteilles vides, de briques et de pierres concassées tassées sur le bord de la route. Des voitures, des « touk-touk », des gens qui traversent sans se soucier de rien, et un traffic d’enfer. J’ai eu l’impression toute la semaine d’être dans un carrefour giratoire sans priorité de passage. Et comme l’Inde est une ancienne colonie britannique, la conduite y est à gauche. Complètement déstabilisant.
Des couleurs: celles des sari, magnifiques, vibrantes, brillantes. Des publicités, en anglais, partout, partout, pour des cliniques médicales, des chirurgies plastiques. Involontairement comique, parfois: « Got brain tumor? Don’t worry! » ou encore « Here, we guarantee that your hart is ok, or your next surgery is free », avec des dessins qu’on pourrait qualifier d’art naif. Et le noir des niqab, de plus en plus présents. Des femmes aux regards intenses, qui se hâtent de faire leurs courses, en houspillant les enfants.
On a tous lu ces histoires d’horreur de viols collectifs, de femmes mutilées. C’est une réalité. Mais que je n’ai pas cotoyée: je n’ai vu que des gens souriants, doux, sans agressivité, qui n’ont rien mais qui sont prêts à tout donner. Qui voulaient se faire prendre en photo avec nous – on est toujours « l’exotique » de quelqu’un! Un mélange de délicatesse et de rudesse parfois inexplicable. Une culture où on trouve normal de « magasiner » le mari de sa fille, même si cette dernière est dentiste et a 25 ans. Qui ne comprend pas qu’on puisse voyager avec un collègue de travail qui n’est pas son conjoint.
J’ai peur d’oublier. Je ne veux pas oublier, revenue dans le tourbillon d’un quotidien qui nous happe. J’ai besoin de mettre en mots cet émerveillement, et ce désespoir qui frappe tous ceux qui ont la chance de passer quelques jours en Inde.
Désespoir? Le mot est peut-être fort, j’en conviens. Mais je ne sais pas comment appeler ce sentiment qui m’a envahie un soir, au retour. Des dizaines d’enfants, vivant dans la rue, qui cognent gentiment dans les fenêtres de la voiture, quémandant des sous pour manger. Une fillette, magnifique sous la saleté, qui fait les yeux doux à mon compagnon de voyage. Un bambin, à peine plus vieux que Fabuleux filleul, qui marche à travers les autos, mêlant ses cris aux bruits incessants des klaxons. Comment aider? À ce point, la pauvreté peut-elle être éradiquée? Par où commence-t-on? Se sentir privilégié d’être née dans un pays « riche », coupable d’être une touriste « riche », ça n’aide en rien ces millions de gens qui vivent dans les slums.
J’ai eu une discussion éclairante avec une chercheure de l’Université de Mumbai, qui est venue il y a quelques années à Montréal. Elle était abasourdie de voir que bien que nous ayons des itinérants, nous n’avons pas de familles dans la rue. Que notre pauvreté est bien relative. Mais surtout, surtout, que nous pouvons vivre dans un pays où il fait si froid. Elle m’a expliqué que malgré tout, les indiens sont heureux. Difficile à comprendre, quand le moindre retard de métro devient un irritant majeur, que l’absence de médecin de famille est un drame et que pour se donner bonne conscience, on fait un don à Centraide.
Le bonheur, c’est bien relatif. Non, je ne me sens pas coupable d’être née ici. Mais je m’en voudrais de ne pas profiter de ma chance et d’oublier.