On m’aurait dit, il y a 22 ans…

On m’aurait dit que la maternité serait ma plus belle réussite, j’aurais soulevé les épaules. Mais à te voir aller, à l’aube de tes 22 ans, je ne vois pas de quoi je pourrais être plus fière. Tu es toujours ma belle rebelle, la plus éclatante des Perséides, la plus belle chose qui soit arrivée dans nos vies. Je dis nos, parce que je sais bien que toute seule, sans ton papa, tu ne serais pas la femme que tu es maintenant. Vive, allumée, moqueuse, tu tiens de lui cette curiosité insatiable de connaissances, du dépassement du convenu. De moi, à part ma chevelure? Peut-être un peu cette empathie que tu camoufles si bien, ce sentiment qu’il faut combattre l’injustice? Mais peu importe de qui tu tiens quoi, tu es toi, unique, notre coco à nous.

Cette année, tu as encore étendu tes ailes. Tu sais la fierté dans le regard de ton père quand il relit tes travaux, quand il parle de toi. Toi, sa fille, à la chaire Raoul-Dandurand, préparant son sujet de maitrise! Je n’en suis pas moins fière… mais je suis aussi fière de la femme que tu deviens. Celle qui bâti une relation avec le beau et charmant E. , en te faisant respecter. Celle qui, généreuse, accepte de partager son temps. Celle qui un jour, peut-être, ramassera sa chambre et fera son ménage….

Nous avons passé à travers des moments difficiles, et avons essayé de te préserver au maximum. Tu as bien senti que c’était pas si simple. Maintenant que nous atteignons une étape de nos vies qui sera plus facile, même si on ne peut jamais jurer de rien, j’envisage ce prochain parcours avec non plus une enfant, mais une adulte que nous aurons mené à bon port.

Ceci dit, tu seras toujours mon enfant. Ma belle rebelle, ma plus brillante Perséide. Mon volcan en dormance, ma p’tite soie. Ma merveilleuse merveille. Je t’aime.

Et pourtant

Je me suis sérieusement posée la question cette année. À 21 ans, a-t-elle encore besoin que je dépose mes mots pour lui souhaiter un joyeux anniversaire? Que je fasse le trajet dans ma tête – mais surtout dans mon coeur – de cette dernière année? Que je lui répète qu’elle est ma toute belle rebelle, la plus belle des perséides, ma merveilleuse merveille à moi? Qu’elle fait déborder le coeur de son père de fierté devant tant de beauté, de grâce, d’intelligence, d’humour?

Et la réponse s’est imposée, ce matin d’anniversaire ou tu n’es pas à la maison. Tu es entrée sur la pointe des pieds cette nuit, nous a chuchoté que tu reviendrais ce matin et de ne pas nous inquiéter. Je me suis rendormie, rassurée. Je sais que tu sais prendre soin de toi, tu l’as appris à la dure côté coeur, et que tu sais ce qui est bon pour toi. Je te souhaite, ma toute belle rebelle, que celui qui est entré dans ta vie et qui fait pétiller tes yeux t’accompagne dans cette fantastique période qui s’ouvre devant toi.

Cette année, tu as vraiment déployé tes ailes: l’université, que tu appréhendais un peu, est devenu un lieu d’épanouissement académique, mais également personnel. Nous t’avons vu studieuse, impliquée, passant tes fins de semaine le nez dans tes travaux. Nous avons eu des discussions sur le sens du monde, tu t’es indignée du sort des femmes massées aux frontières qui demandaient l’asile, tu as exploré les possibilités de travail à l’étranger. Et c’est avec tellement de fierté que nous t’avons accompagnée à la remise de la bourse que tu t’es méritée! Encore plus fiers de te voir aller, comme un poisson dans l’eau, au cocktail qui a suivi! Quel chemin parcouru depuis le secondaire.

Tu as aussi agrandi ton cercle d’amis et ton rayon d’action. Montréal n’a plus de secrets pour toi, mais tu as aussi découvert l’Europe et tu comptes bien y retourner. Ton amour des voyages ne s’estompera pas et tu rêves de partir, sac au dos, pour découvrir l’Asie. Je te le souhaite, ma belle rebelle: tu es à l’âge ou la seule personne qui peut te retenir, c’est toi. Ton père m’aidera à calmer mes angoisses de mère qui voudrait te garder sous une cloche jusqu’à tes 50 ans!

Angoissée un brin de te trouver un travail d’été (tsé, comme si, avec le bagage que tu as et les compétences que tu as acquises les employeurs bouderaient leur chance!) tu as fait le meilleur choix entre les offres devant toi, avec une grande maturité et un grand respect pour les employeurs. Ce travail t’a ouvert les yeux sur les réalités que vivent plusieurs personnes et tu t’es parfois indignée contre le système qui protègent parfois si mal les travailleurs et qui a si peu à leur offrir pour les sortir de leur malheur.

Même si les aspérités de l’adolescence et la fougue qui t’a toujours habitée semblent s’être adoucies, ne perd pas ta capacité d’indignation, ni ton désir d’aller plus loin. C’est ce qui te rend si unique.

C’est ma volonté de garder une trace du temps qui fait que je reviens, chaque année, t’écrire ce petit texte. Cet hommage à la femme que tu es devenue, qui a fait de nous de meilleurs personnes et de meilleurs parents. Parfois, ton père et moi, on se regarde, en se disant que si on nous avait dit, il y a 21 ans…

Bonne fête, ma belle toute belle rebelle. Tu as déployé tes ailes, l’horizon t’attend. Et nous serons toujours là, quand tu auras besoin de te poser pour refaire le plein.

Cette fois, c’est vrai

Votre fille a 20 ans, que le temps passe vite, madame hier encore, elle était si petite…

Dans quelques heures, tu auras 20 ans. Loin de nous, en camping avec ta meilleure amie, cette C qui fait partie de ta et de nos vies depuis 15 ans maintenant. Et tu t’apprêtes à commencer cette nouvelle décennie par un voyage « dans les Europe » avant d’aller passer quelques jours avec ta grand-mère au Saguenay. Puis, tu prendras le chemin de l’université.

On a pas arrêté, ton père et moi, de te dire à quel point nous sommes fiers de toi. De la femme que tu es devenue. De tes choix, que tu assumes parfaitement. Bien sûr, tu doutes encore parfois, mais ces doutes ne te paralysent plus. Tu fonces, en toute connaissance de cause. Tu apprends de tes erreurs.

J’écoutais l’autre jour un propriétaire d’entreprise qui se plaignait, à la radio, des jeunes qui quittent leur emploi sans un mot d’explication, qui sont des no shows alors qu’ils ont été embauchés, qui n’ont aucun respect ni pour l’employeur, ni pour les clients. Pas toi : à chaque fois que tu as quitté un emploi, tu as remis une lettre de démission expliquant tes raisons et tu as offert à ton employeur plus que le pré-avis habituel afin de former ton remplaçant. Même quand les clients te manquaient de respect, tu as gardé ton calme – bon, le masque a aidé dans les dernières années à cacher tes dents! – même si tu devais te mordre pour ne pas hurler. Quand je t’ai raconté cela, tu m’as dit que tu étais peut-être épaisse d’avoir cette attitude. Et pourtant, et tu le sais, tu fais la bonne chose, et ce respect te servira toujours.

J’aime ton humour, ta façon de rire de nous, mais aussi ta manière de t’assurer que nous allons bien. J’apprécie que tu fasses attention, sachant notre vulnérabilité devant la COVID, et je sais que tu as peut-être dit non à certaines sorties pour ne pas nous mettre à risque. Je t’en suis reconnaissante.

J’aime ces  « je t’aime » que tu nous cries de ta chambre, ou quand tu refermes la porte en quittant. Tu as adouci ton caractère bouillant, quoique… mais tu reconnais rapidement quand tu franchis la ligne et tu t’excuses facilement. Le feu est toujours là, tu es encore et toujours ma belle rebelle, mais tu le contrôle de mieux en mieux.

Les prochains mois seront peut-être difficiles. Fréquenter l’université, t’habituer à prendre les transports en commun, les longues heures, les exigences académiques… beaucoup de nouveautés à gérer. Nous serons là, ma toute belle, pour t’épauler.

On la disait jolie, et voilà qu’elle est belle, pour un individu presqu’aussi jeune qu’elle..

Dors bien ma belle perséide. Je t’aime.

Sexy Sixty

Ça y est. J’ai 60 ans.

Je devrais être catastrophée d’être si vieille. D’avoir les petits bobos associés au vieillissement: les jointures qui craquent, le pas moins assuré, le cheveu plus sel que poivre, le bye bye de dessous de bras mous, etc… De réaliser qu’il y a en plus derrière que devant, que je ne serai plus jamais une jeune poulette du printemps – mais l’ai-je déjà été? D’avoir de plus en plus souvent la larme à l’oeil parce que des gens qu’on connait personnellement nous ont quitté, que nos idoles de jeunesse partent aussi. D’avoir de plus en plus besoin d’expliquer qui était un tel, ce qu’était les années 70 ou d’utiliser l’expression  « dans mon temps ».

Je devrais être en maudit de ne pas pouvoir, encore une fois, fêter ça dignement, comme on a souligné mes 50 ans. De ne pas pouvoir réunir famille et amis, badiner, se féliciter de se connaitre, se raconter pour la zillionème fois nos faits d’armes, nos niaiseries, nos bons coups comme nos mauvais. Et rire, rire. Savourer le bonheur d’une assiette bien garnie, d’un verre de blanc, rose ou rouge, d’un gâteau au chocolat cochon de chez cochon. Et se faire de nouveaux souvenirs qu’on se racontera dans 5 ou 10 ans.

Pourtant, non. Je suis fière d’avoir 60 ans, fière de ce que j’ai accompli, fière d’être encore debout malgré les tempêtes. Fière d’avoir traversé tout ça et d’avoir encore le goût de donner, mais en ayant appris à ménager un peu ma monture. Fière d’avoir à mes côtés un Mammouth qui voit toujours la fille de 40 ans de qui il est tombé amoureux, une fille qui m’émerveille, une famille qui m’aime, des cousins/cousines que j’ai hâte de revoir et avec qui j’entretiens les liens de la tribu des descendants d’Alcide et Annie et d’Hélène et Ovila. Fière d’avoir tissé des liens avec des gens que j’ai connu à travers la politique, la fonction publique, les zinternets ou autrement. Fière, mais surtout reconnaissante de voir qu’aujourd’hui, ils m’ont inondée d’amitié et d’amour, virtuellement, au téléphone ou en privé.

Peut-être que je vis dans le déni. Dans ma tête, mon 60 sonne encore comme 30. Ou 15. Même si certains matins, ça sonne, en toute franchise, comme 90. C’est un chiffre. Rien d’autre. Je trouve ça même cool d’avoir 60 ans.

J’ai comme modèle des femmes d’exceptions, chacune à leur manière: ma mère, Lise Bacon, Lucienne Robillard. J’aspire à leur ressembler, quand je serai grande. J’admire aussi Helen Mirren, Audrey Hepburn et plus près de moi, Louise Latraverse et Béatrice Picard, pour qui l’âge ne semble pas avoir de prise. Des femmes dont le charme et le sex-appeal vont beaucoup plus loin que le botox et la couleur des cheveux. Des femmes qui s’affirment et ça, c’est drôlement sexy je pense.

60? Ben c’est ça. Sexy Sixty. Pis tant pis pour ceux qui trouvent ça vieux!

13 mars 2020

Ce vendredi-là, j’ai fermé mon ordi au bureau, j’ai arrosé mes plantes et j’ai mis mes gants bleus pour prendre le métro. Un peu plus tôt, merveilleuse merveille m’avait dit que le Cegep devançait la semaine de relâche et qu’elle aurait un break de 2 semaines. Le Mammouth m’avait raconté le point de presse du PM. Avant de quitter pour ce que je pensais être une pause de quelques semaines, j’avais eu une discussion avec un collègue, lui disant que je n’étais pas trop inquiète pour le virus, mais plus pour notre capacité hospitalière, surtout après l’avoir vu de l’interne pendant mon court séjour dans un CIUSSS.

Le lundi suivant, de retour à mon bureau pour y prendre quelques dossiers en attente du retour au travail, on se souhaitait de revenir rapidement, que tout irait bien et que ce serait vite du passé. Au retour à la maison, un peu fiévreuse, j’ai avalé des tylénols en me croisant les doigts de ne pas avoir attrapé le maudit virus, et je me suis couchée.

Les mois qui ont suivi sont un peu brumeux. La messe de 13h00, les chiffres dévastateurs des morts en CHSLD, les tartelettes portugaises, le lavage systématique de tout ce qui passait le cadre de porte. Le cerveau qui refusait de saisir l’ampleur de la catastrophe. Les petits moments volés – une soirée distancée dehors avec des voisins, un apéro chacun dans son entrée qui a fait tant de bien au moral, ou ceux en zoom terriblement frustrant, les lectures pour compenser l’arrêt des audiences, la douceur du printemps et de l’été. Le sentiment d’échapper à l’horreur, tout en sachant que si le maudit virus entrait dans la maison, nous étions grandement à risque de complications. L’attente d’un médicament ou d’un vaccin. Le rythme plus lent et pas si désagréable qui s’était installé. La reconnaissance de pouvoir être tous ensemble dans une grande maison, sur un grand terrain, dans une ville remplie de parcs. Le sentiment de solidarité, de « tous ensemble » et l’espoir que le pire était derrière nous.

Puis est arrivé l’automne 2020. Une autre vague. D’autres restrictions. Des gens qui ne suivent pas les consignes. Un début de fracture, une fêlure. Une première impression que la belle solidarité s’effritait, juste au coin. Il y avait ceux qui suivaient les consignes, et ceux qui commençaient à s’en moquer. Les arc-en-ciel décollaient des fenêtres, décolorés. Une toute petite craque.

2021 devait porter tout l’espoir du monde. Et pendant quelques mois, on y a vraiment cru. On a recommencé prudemment à fréquenter des amis, on est allé au resto, au cinéma. Mais le maudit virus nous réservait une surprise. Un variant pas commode. Autour, des amis pourtant hyper prudents testaient positifs. Et de nouvelles mesures, pour essayer de contrôler l’incontrôlable, ont agrandi la craque. Jusqu’à en faire un trou béant. Une déchirure profonde entre deux mondes qui ne sont plus en mesure de se comprendre. Et comme toute plaie non traitée, celle-ci s’est mise à suinter. À sentir mauvais, comme dans odeur de diésel dans la rue d’Ottawa pendant des semaines.

J’ai eu mes moments de colère, d’incompréhension. Ça ne me rentrait pas dans la tête qu’on puisse nier l’évidence, qu’on mette son petit moi individuel devant le nous collectif. Ça me heurtait profondément dans me valeurs, de lire des gens condamner d’un côté comme de l’autre, s’injurier et se braquer dans des positions extrêmes. J’acceptais qu’on avait collectivement atteint un seuil de fatigue pandémique. J’acceptais même que des discours qui ne font aucun sens pour moi manifestement en font pour d’autres. Libââârté!!!!

J’ai calmé ma colère, tout en étant profondément inquiète pour la suite. Pas pour la maladie, non, mais pour cette colère déchaînée et totalement décomplexée, pour cette nouvelle réalité où on considère que de menacer de mort des politiciens, des journalistes ou de purs inconnus c’est ok. Que de s’engueuler en public c’est normal.

11 mars 2022. Ce vendredi, je fermerai mon ordinateur dans mon bureau à la maison, et je descendrai écouter les nouvelles au salon, avec le fol espoir que Poutine aura compris le bon sens et donné ordre à ses armées de cesser de tirer sur des civils qui ne méritent sûrement pas de finir ainsi.

Demain, la grande majorité des mesures sanitaires sera chose du passé. Il sera impossible de revenir en arrière, me semble-t-il, même si un nouveau variant se montrait le bout du nez. Ceux qui, comme nous, présentent un risque, auront la responsabilité de se tenir loin, de mettre une croix sur certaines activités, de ne pas retrouver une vie tout à fait normale. Je l’accepte, et je n’en tiens pas rigueur à ceux qui ont fait des choix autres que les miens. Je ne veux pas que la colère envahisse ma vie, qu’elle m’enlève du temps de qualité avec des amis et de la famille. Faire la bise à de purs étrangers ne me manquera pas, et j’aurai juste l’air weird de me précipiter sur ma bouteille de purell après avoir serré une main dans une rencontre.

Dans 3 jours, ça fera 2 ans. Deux ans de vie entre parenthèses. Pourtant, depuis 11 jours, la pandémie est passée au second plan. On ne mourra pas du virus, mais peut-être d’une attaque nucléaire parce qu’un fou en aura décidé ainsi.

J’espérais il y a deux ans qu’on en tirerait des leçons sur la fragilité des choses, sur notre mode de vie, sur nos choix de société. Ça m’apprendra à être idéaliste!

Votre fille a 20 ans…

….NON! Pas encore. Juste 19 cette année. Et c’est très bien comme ça. L’année a été, comme depuis plusieurs années, mouvementée. La pandémie qui s’étire, confine-déconfine-reconfine la pas fine, un autre changement de carrière pour moi, des contrats qui demandent une énergie folle à ton père. Une chatte qui s’échappe et qui, après un mois de goguette, revient au début de l’année. Et le temps qui va vite, trop trop vite. Heureusement, le maudit virus ne s’est pas pointé le bout du nez dans la maisonnée, et doubles-vaccinés toute la gang, on respire un peu mieux.

Nous disions donc 19. Le maudit virus t’a privée de vivre ta première année d’adulte en faisant toutes les folies qu’on fait à 18 ans. Tu as été incroyablement sage, raisonnable. Ton et ton inséparable C, café en main et discussions masquées dans la voiture, vous avez réussi à concilier travail et études de main de maître. Tu ne mesures pas bien, ma cocottine, toute la fierté qui nous rempli, ton père et moi, quand on te voit aller, prenant de l’assurance et harnachant ton impatience.

Bon, tout n’est pas parfait. Hier, par exemple, je t’aurais tordu le cou, quand il a fallu vider et nettoyer le frigo parce que tu y avais rangé une bouteille d’un liquide sirupeux mal refermée. Ou avant-hier, quand j’ai ramassé la moitié de ma coutellerie dans ta chambre…pis l’autre avant-hier, quand bougonnant parce que trop fatiguée de tant travailler, tu étais à peine polie.

Mais au final, tu es et seras un grand millésime. Tu as les valeurs à la bonne place, tu es capable de défendre tes droits, et ceux de la veuve et de l’orphelin, mais faut pas pousser mémé dans les câbles. Tu as appris à prendre un pas de recul plutôt que de ruer dans les brancards, et tu as compris que tu dois assumer tes décisions.

L’été prochain, celui de tes 20 ans, tu espères pouvoir passer l’été entre le cégep et l’université en voyage. Tu as travaillé fort pour ramasser les sous, vous faites des plans A, B, C et D au cas où la pandémie en serait à sa douzième vague. Tu nous impressionnes.

Bref, nous disions 19. 19 ans à se rappeler, ce 12 août, les premiers regards échangés, l’attitude de père Lion du Mammouth quand l’infirmière t’a amenée sur la table d’examen, et la berceuse que je t’ai chantée doucement dans le silence de ma chambre d’hôpital. 19 ans à regarder la nuit des Perséides à qui tu ressembles tant, ma belle rebelle. 19 ans à t’aimer.

Pis je t’avertis: tu peux ben avoir 20 ans l’an prochain, moi j’en aurai toujours 39. C’est dit!

 

Le droit de vote. Et autres.

Aujourd’hui, ma belle rebelle, tu as 18 ans. On se regardait, ce matin, ton père et moi, mesurant à quel point tout va vite. On s’est regardé, un peu incrédule. Et un peu – pas mal!  – fiers de la jeune femme que tu es devenue.

La dernière année a été particulière. L’étape du Cégep, où l’encadrement est minimal, la réalité de devoir gérer tes choses, ton agenda et puis cette saloperie de virus qui a chamboulé toutes nos vies.

J’avoues que je me suis demandée comment tu gèrerais le confinement. Tu nous sais plus fragiles, plus à risques. Tu as accepté les règles du jeu pour nous.  N’empêche, ne pas voir tes amies, rester à la maison, ne pas sortir sauf pour quelques promenades autour du bloc, c’est beaucoup demandé à une jeune adulte en pleine forme. Tu as vite épuisé Netflix, Amazon, et autres qui t’ont gardé branchée sur ton ordi parfois 15 heures par jour.

Tu as accepté que ton grand frère vienne vivre avec nous quelques mois, même s’il t’a fallu réaménager ton espace pour lui permettre d’avoir une chambre à lui. Tu l’as fait sans ronchonner, en y mettant beaucoup d’énergie.

Était-ce parfait? Non. Tu as craqué à quelques reprises, comme nous. Mais honnêtement, nous y avons tous mis du notre, et le confinement, dans une grande maison, avec un grand terrain et une piscine, s’est plutôt bien déroulé. Malgré notre crainte d’attraper le maudit virus, nous avons compris, ton père et moi, que le risque zéro n’existe pas et qu’il te fallait étendre un peu, de manière sécuritaire, tes nouvelles ailes d’adulte. Ce que tu as fait de manière responsable, et nous t’en sommes reconnaissants.

Tu as 18 ans, ma belle rebelle, et l’avenir devant toi. C’est un peu affolant, non? Il y a 40 ans, à mes 18 ans, j’avais devant moi un « champs des possibles » libre, croyais-je à ce moment-là, d’obstacles ou de mines cachées. Et c’était vrai: les femmes avant moi avaient obtenu le droit de vote, le droit de décider par elles-mêmes d’une profession, le droit à l’amour libre et sans contrainte, le droit à disposer de nos corps et à la contraception. Le sida n’existait pas, et pour autant qu’on fasse un peu attention, le condom n’était même pas dans le fond de nos sacoches en macramé 🙂

Toi, tu entames cette nouvelle étape de ta vie dans un contexte différent: la droite monte en force un peu partout, le maudit virus est avec nous encore pour quelques mois, voire quelques années, votre éducation « en ligne » vous prive de ce qui est le plus le fun des années de cégep, le plaisir d’être en gang au café. Votre vie est ponctuée de #hashtag #BlackLivesMatter #OnVousCroit #MauditVirusAMarde #

Vous façonnerez le monde à votre image, et je te fais confiance. Tu as de bonnes valeurs, une base solide. Tu feras des niaiseries, tu rentreras après avoir trop bu et tu auras plus qu’une conversation avec le grand téléphone blanc. Tu te battras pour tes droits, tu feras valoir ton point de vue, et tu continueras à adoucir les angles de ta personnalité parfois trop entière.

Tu as maintenant plein de nouveaux droits, dont celui de voter. D’aller dans les bars sans avoir peur de te faire carter. Ça vient avec des responsabilités. Tu le sais qu’il faudra que dorénavant, tu assumes toutes tes coches mal taillées. T’en as pas fait tant que ça et tu as appris de tes erreurs. Nous sommes fiers de toi, ma merveilleuse merveille, ma toute belle rebelle, ma plus belle Perséide!

Je t’aime, ma toute belle rebelle. De tout ce que j’ai accompli dans ma vie, tu es ma plus belle réussite. Je n’y serais pas arrivée sans ton père, et le regard que nous avons échangé ce matin en disait long. Sois fière de toi, comme nous le sommes.

Maintenant, hop au boulot! Parce que ça aussi ça vient avec le fait de ne plus être une petite fille: travailler, payer des impôts et avoir un boss 🙂

 

Pour toi, Clément. Ou à cause de toi?

6e semaine de confinement. Après un certain engourdissement, tant physique que cérébral, je sens que je retrouve un semblant de vie, pour ne pas dire de vivacité. 6 semaines à regarder aller mon monde, à être, comme l’immense majorité des Québécois, en attente de la messe de 13h00. Et à essayer de trouver un sens à tout ça.

Mon ami Clément a le don de me forcer à réfléchir. Même quand je pense ne rien avoir à dire. Ouais, il est fort comme ça, mon ami Clément. Après avoir lu ce magnifique texte – https://remolino.qc.ca/2020/04/21/sincerite-moi-aussi/, je me suis imprudemment avancée à lui promettre de répondre à ses questions.

Clément a fait sa réflexion à partir de sa perspective politique. Mais vous me connaissez, je ne parle jamais politique. Ou si peu…  Ceci dit, c’est surtout vers une réflexion profondément personnelle, mais aussi sociale, que mes pensées m’ont amenée.

Alors pour toi, Clément. Grâce ou à cause de toi!

Qu’est- ce que cette crise m’a permis d’apprendre?

D’un point de vue personnel, que ma longue période plus sombre en 2018 m’a préparée, bien imparfaitement, à ce confinement. Je suis résiliante, plus que je ne le croyais. Ne pas fréquenter plein de monde ne me manque pas. Mes petites escapades à l’épicerie, les discussions à distance responsable avec les voisins quand il fait assez beau pour sortir comblent pleinement mon besoin de socialisation, alimenté par les réseaux sociaux.

J’ai toujours pratiqué la gratitude comme vertu cardinale de mon existence. Encore plus maintenant. Je suis reconnaissante d’avoir un emploi qui me permet de faire du télétravail (sur lequel je reviendrai), un chum qui est devenu un monument de zen, une ado qui tout à coup s’est transformée en adulte responsable et qui vit quand même bien cet interruption de son adolescence, et depuis peu, le retour du fils qui ajoute à la vie de la maison. Tout ça dans un environnement qui nous permet de ne pas nous piler sur les pieds. J’admets que je serais probablement moins zen prise dans un 4 et demi au centre-ville, avec pour toute perspective le balcon du voisin.

Je suis aussi reconnaissante d’avoir arrêté de travailler avant que Montréal ne soit vraiment en crise. Les derniers jours dans le métro, l’inquiétude faisait partie de mon quotidien. Je pense quotidiennement à ceux et celles qui n’ont pas ma chance.

Cette crise m’a aussi conforté dans l’idée que c’est dans l’épreuve que les gens se révèlent. Et que comme société, on va du meilleur au pire, parfois dans la même journée. Et que ce qu’on encense le matin devient l’objet de critiques acerbes en soirée.

Je crois également que ça nous a pris du temps pour prendre la mesure réelle de ce qui nous arrivait. Et que même encore, je ne suis pas convaincu que nous réalisons exactement que notre vie ne sera plus la même. Probablement parce que nous n’avons jamais été confrontés à une telle crise sanitaire.

Quelles questions la crise m’a amené à considérer sous un autre angle? ou à juger plus ou moins prioritaires — et pourquoi?

Évidemment, nous ne pourrons pas faire l’économie d’un vrai débat sur la santé. J’écoutais ce matin Alexandre Taillefer dire que pour lui, c’était désormais clair: plutôt que de finir en CHSLD, il souhaitait avoir accès à l’aide médicale à mourir s’il perdait son autonomie.

De récentes décisions judiciaires nous avaient amené à initier ce débat sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Ce débat sera nécessairement dorénavant teinté de l’horreur maintenant publique de la réalité des résidences pour personnes âgées. Toutefois, je souhaite que nous ayons la même sérénité que lors du premier débat sur le sujet.

Oui, certains CHSLD sont des endroits où les aînés sont parqués. Et le plus souvent, les soins y sont adéquats. La crise a mis en relief le manque de personnel, mais surtout le manque de reconnaissance envers celles et ceux qui ont pris le relais de famille qui ne peuvent, ou ne veulent s’occuper de leurs aînés. Bien sûr, s’occuper d’un aîné atteint d’une maladie dégénérative, de déficience cognitive, d’Alzheimer demandent une expertise que nous n’avons pas. Je ne suis pas prête à blâmer les familles qui font ce choix.

Il faudra faire toutes les nuances, poser toutes les questions et surtout, surtout, ne pas chercher à identifier un coupable. Nous le sommes tous, collectivement. Tout comme on s’est collectivement réveillé sur la DPJ après le meurtre sordide de la petite fille de Granby, nous venons de nous réveiller, collectivement, sur l’état de situation des personnes âgées.

Il faudra aussi faire des débats déchirants sur le panier de services. On veut tout, tout le temps. Est-ce raisonnable de penser qu’on peut tout avoir, tout le temps?  Qui fera les arbitrages entre le nécessaire financement de la recherche, le financement des soins de santé, celui des services sociaux, etc… et ce qu’on veut mettre en environnement, en transports, en éducation, etc… toutes missions essentielles confondues?

Et Clément, ne t’en déplaise, le débat sur le futur statut politique du Québec m’apparaît comme bien peu prioritaire. Pas par conviction, crois-moi. Mais surtout parce que je ne suis pas convaincue que même indépendant, la gestion de cette crise aurait été plus efficace. Mais peut-être que je me trompe.

Quelles sont les convictions que ça a renforcé chez-moi et celles qui se trouvent ébranlées — et pourquoi?

Ma foi en la nature humaine a été à a fois renforcée et ébranlée. Bien sûr, les niaiseries montées en épingles dans les média m’ont parfois fait pousser des soupirs à déménager les meubles du salon dans la cuisine… bien sûr, les théories du complot ne cessent de m’étonner.

J’ai aussi la conviction intime que nous avons, en temps de crise, un besoin collectif de s’identifier à un héros, conviction renforcée par notre attitude. Le tandem Caillé-Bouchard du verglas. Le trio Legault-Arruda-McCaan de la pandémie. Le problème, avec les héros, c’est de durer dans le temps. Parce que si on aime moins nos héros, nous serons moins tenté d’obéir aux ordres…

La crise aura aussi renforcé cette conviction que nos gouvernements et que nos concitoyens ne réagissent que lorsque l’horreur frappe. La situation des CHSLD, tout comme celle de la DPJ, ne sont pas nouvelles, mais elles ont été ignorées. Ce que Jean-Luc Mongrain appelait l’huile sur la roue qui grince. On s’indigne collectivement, comme on fait du pain tout le monde en même temps… Ricardo aux fourneaux ou Legault au Parlement, même combat!

Je suis également convaincue que nous sommes nos propres freins quand vient le temps d’accélérer le tempo. À preuve, la vitesse avec laquelle le gouvernement fédéral a mis sur pied les prestations d’urgence, avec comme motivation « le mieux est l’ennemi du bien » et qu’à force de chercher la perfection, on n’aboutit jamais. Oui, il y aura des dérapages et des choses à rectifier, après. Mais je suis  plus qu’agréablement surprise, surtout considérant que c’est le même gouvernement qui n’a toujours pas réussi à régler Phénix, même après 4 ans…

D’autres convictions ne sont pas encore ébranlées, mais pourraient l’être en sortie de crise. J’aimerais croire que nous aurons la maturité pour faire les débats qui nous attendent, que la solidarité dont nous avons fait preuve ne s’effritera pas au contact de nos intérêts particuliers.

Comment cela a transformé l’homme (politique?) que je suis — et quels effets ça aura sur mon discours et sur ma façon d’agir?

Je n’ai jamais été outrageusement partisane. Et ma plus belle surprise est que la classe politique, à quelques exceptions près, a laissé de côté, jusqu’à présent, les jeux politiques, les intrigues de coulisses et les autres niaiseries qui discréditent le métier de politicien. J’aimerais que ça se poursuive, mais c’est utopique de penser ça, je le sais.

Par contre, je crois sincèrement que la manière de faire de la politique sera changée. Parce que les citoyens, qui ont vu autre chose pendant cette crise, ne permettront pas un retour à de la petite politique partisane.

C’est ce discours que j’aimerais tenir. Celui qui prône le rassemblement, la recherche du point commun, l’argument qui convainc plutôt que l’argument qui détruit. L’ouverture aux autres, l’écoute plutôt que la parole.

Je m’impliquerai également plus au travail, dans la recherche de solutions qui permettent de mieux concilier le travail et la famille. Le gouvernement a pris, dans certains ministères à contre-coeur, le chemin irréversible du télétravail. Le virage de l’évaluation en fonction des livrables plutôt que de la présence au bureau. J’ai envie de mettre mon expérience de gestionnaire au service de mes collègues encore plus que je l’ai fait depuis mon retour à la fonction publique.

Voilà. C’est long, très long. Désolée Clément. J’essayerai d’être plus succincte la prochaine fois!

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Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, disait Éluard. Heureux ou pas, qui changent le cours de notre existence. Qui nous ramène à l’essentiel.

Ce matin, pour le boulot, je rencontrais des femmes passionnées associées à un magnifique projet de Maison des naissances. Comme pour me rappeler qu’il y a 17 ans aujourd’hui, j’étais en attente de mon plus beau rendez-vous. Toi, ma merveilleuse merveille, ma toute belle rebelle.

Que de chemin parcouru depuis ce temps hein! Cette dernière année, qui t’a vu fermer la porte de ton secondaire pour ouvrir celle de Cégep, a été pleine de rebondissements et d’émotions. De rires et de larmes. De cris et de chuchotements. Les « passages » ont toujours été difficiles pour toi. Je t’ai revue, entre la maternelle et le primaire, puis entre le primaire et le secondaire. Cette même fronde, ce même « j’ai même pas peur » plein d’anxiété.

Et pourtant. Tu as tellement tout pour réussir. Je sais, tu doutes. De ta beauté, de tes charmes, de ton intelligence, de toi. Parfois de nous. Et j’aurai beau me tuer à te le répéter, tu ne me crois pas quand je te dis que tu es magnifique, de dehors comme de dedans. Ton père n’a pas plus de succès que moi.  Alors tu testes, avec toute l’arrogance de tes 17 ans. Tes limites, nos limites.

Je regarde la photo de ton bal des finissants. Une beauté à couper le souffle. Tu as osé le rouge, femme fatale style. Et tu l’as assuré, parfaitement, insolemment.

Parfois, j’ai peur. Je voudrais tant t’éviter le chagrin, les larmes, la colère. Mais je ne peux pas. Je ne peux que te rassurer sur le fait que tu seras toujours ma fille, celle que j’aime inconditionnellement, même quand je n’approuve pas tes comportements ou tes choix.

Cette année, tu as commencé à travailler. Et tu travailles beaucoup. Tu apprends à gérer ta vie et ton fric, même quand ce n’est pas évident. Je suis si fière de toi, ma merveilleuse merveille. Ma toute belle rebelle.

Tu entreras, dans quelques jours, dans une nouvelle étape. Où tu devras apprendre à gérer encore plus tes priorités et ton temps. Bien sûr, nous serons derrière toi pour te guider, si tu en as besoin. N’y vois pas une intrusion dans ta sacro-sainte liberté. Tu sais, parfois, « father/mother knows best ». Même si ça fait suer – et je sais que ça fait suer: been there, done that, got the t-shirt. Un jour, quand tu seras aussi vieille que moi, tu te diras peut-être que des fois, nous avions raison…

Entre-temps, vis ta vie, mon bel amour. Amuses-toi. Les années de Cégep sont les plus belles, malgré la pression que vous vous mettez sur la fameuse côte R. Tu ouvriras tes horizons encore plus, tu rencontreras des gens avec qui tu tisseras des liens d’amitié qui dureront peut-être toute ta vie, sans négliger tes amies de toujours. Tu t’y découvriras peut-être une passion pour l’archéologie, qui sait? Ou la politique… mais de ça, on en parle jamais, ou si peu!

Ce soir, en cette nuit des perséides qui se sont penchées sur ta naissance, je ferai un vœu: que tu sois heureuse, peu importe le chemin que tu choisiras. Sans compromis avec la femme magnifique que tu deviens, qui apprendra à encore mieux canaliser ta fougue et ton désir d’aller encore plus vite.

Ceci dit, es-tu vraiment obligée d’avoir 18 ans l’an prochain?????

 

 

Tu étais si petite…

Depuis 3 jours, tout le monde s’indigne. Tout le monde cherche des coupables, parce que forcément, si on ne peut pas pendre haut et fort quelqu’un, on aura rien résolu. Et si on a rien résolu, on ne pourra rien oublier.

Avant toi, il y en a eu d’autres. D’autres, si petits aussi. Pas tous médiatisés, pas tous au cœur d’une tempête parfaite. Des petites blessures, des abandons, des cicatrices mal refermées. D’autres qu’on a oubliés, ou presque. Parce que autre chose dans l’actualité, parce que la douleur ne peut être vive trop longtemps, parce qu’on retrouve vite nos vies bien propres, bien rangées.

Tu étais si petite, et pourtant tu occupes tout l’espace depuis 3 jours. Comme mère, mon cœur se serre juste à imaginer tout ce que tu as enduré. Je suis indignée, mais j’ai surtout un immense chagrin. Et je ne sais pas quoi faire avec ce chagrin, qui tourne en rond dans ma tête et qui me met une grosse boule dans la poitrine.

Je me souviens, il y a très très longtemps, quand j’étais au Cégep, la Loi sur la Protection de la jeunesse était débattue avant d’être adoptée. C’était avant les réseaux sociaux, avant les chaînes d’info en continue. C’était au temps où on croyait encore, très fort, que tout le monde peut se réhabiliter, même les plus indignes des parents. C’était le temps où on pensait que les monstres, c’était juste dans les histoires destinées à faire peur aux enfants. Toi, tu les as vu de près les monstres. Toi, tu as eu peur.

J’aimerais qu’on évite de trouver des excuses à tes monstres. Bien sûr, il y aura de savants psy pour nous expliquer que tes monstres, c’était au fond des gens bien démunis, à qui on n’a jamais donné les bons outils pour s’en sortir. Ou pour prendre soin de toi et de ton petit frère correctement. Peut-être. C’était peut-être de faux monstres, mais ce qu’ils t’ont infligé est très réel.

J’aimerais penser que nos systèmes fonctionnent. Dans la majorité des cas, ils font des choses inouïes, et personne n’en parle. Tu le sais, les bonnes nouvelles ne font jamais la une, ça fait pas vendre et ça n’augmente pas le « rating ».  J’aimerais penser que tous ces gens qui étaient au courant ont vraiment tout fait en leur pouvoir pour t’aider. Ils ne sont pas tous méchants. Ils sont juste, comment dire, centrés sur leur vie, leurs priorités. Et puis, se mêler des affaires du voisin, tsé… on sait pas où ça peut nous mener, alors on laisse faire en espérant que quelqu’un d’autre le fera.

Je frémis quand je pense que l’an dernier, au Québec, plus de 100 000 signalements ont été faits à la DPJ. Ça en dit long, je trouve, sur ce qu’est devenue notre société. Il est peut-être temps qu’on s’interroge, sérieusement, sur notre capacité à vous aimer, à vous protéger et à vous amener à bon port.

J’aimerais qu’on se taise. Qu’on réfléchisse à la suite des choses. Qu’on ne précipite pas les décisions pour donner à manger à la bête médiatique et à sa fille, la vindicte populaire. Que la réflexion, peut importe la forme qu’elle prendra, vise large. Très large. Et qu’elle écoute toutes vos petites voix.

Tu étais si petite. Et pourtant, tu vas peut-être réussir à nous faire tous grandir.