Il était affalé sur la boîte du téléphone. Savez, ces boîtes laides de Bell qui ont l’air de pousser sur les murs des stations de métro, ou dans les halls d’hôtel? Drôle d’endroit pour s’affaler. Debout dans le wagon du métro arrêté encore une fois à l’heure de pointe, je regardais distraitement les gens qui venaient de sortir à la station Rosemont, pressés de retourner à la maison, retrouver un amoureux, des enfants, un chat, un chien. À la limite, un poisson rouge.
Pas lui. Il était affalé sur la boîte téléphonique. Était-il sorti en même temps que les autres? Était-il déjà là quand nous étions arrivés? Et le métro, portes grandes ouvertes, ne repartait toujours pas. Je le regardais, incapable de détacher mon regard de cet homme d’âge mur, affalé. Quelque chose ne cliquait pas. Je ne savais pas quoi, mais un détail accrochait.
Puis j’ai compris. Ce léger mouvement d’épaule, c’est le mouvement qu’on fait quand on retient à grand peine ses larmes. Quand on étouffe par en dedans pour ne pas hurler. Il a relevé la tête, a essuyé ses yeux, puis a pris son front dans sa main. Toute la douleur du monde était dans ce geste.
Instinctivement, je suis sortie. Pour aller vers lui. Quelque chose dans son attitude criait à l’aide. J’ai fait quelques pas, il a levé les yeux, et a secoué la tête. Pour me dire de ne pas approcher. J’ai laissé partir le métro, en me disant que j’attraperais le suivant, que j’avais du temps. J’ai continué à le regarder, sans un mot.
J’ai pris le métro suivant. Il n’avait pas bougé. J’ai continué mon chemin, la tête pleine de questions. Pas par curiosité, non. Je me suis demandé quelle mauvaise nouvelle avait pu réduire cet homme à étaler pudiquement sa douleur, comme si elle l’empêchait d’avancer, de sortir de cette station bondée à l’heure de pointe.
Son amoureuse venait-elle de lui dire que tout était fini? Venait-il d’apprendre le décès d’un proche?
Dans un très mauvais scénario de film, ça commencerait ainsi: » Terrassé par la nouvelle, il était incapable de bouger, peinant à reprendre son souffle… »
Sauf que ce n’était pas un mauvais scénario de film. Juste une « scène de la vie quotidienne » dans le métro. Et son regard me suit encore…