Le verdict a surpris, mais surtout choqué beaucoup de gens. C’est émotif, à chaud. Quelques voix s’élèvent, appellent au calme. Marie-Claude Lortie, Yves Boisvert, Véronique Robert.
Les tribunes publiques se font aller, et avec elles, selon le degré d’habileté de l’animateur, les pires commentaires comme les plus fins se mélangent. Une cacophonie publique de gérants d’estrade, qui se sont forgés une idée à travers les bribes dévoilées par les médias et qui avaient, souventes fois, condamné d’avance le méchant docteur.
Bien sûr, je pense à la mère, d’une dignité remarquable. Dans les mêmes circonstances, je ne sais pas si je serais capable d’autant de dignité. Elle a choisi, à mon avis, la seule voie pour s’en sortir, si on peut se sortir d’un tel drame: s’accrocher, pas à la vengeance, mais à la vie et à ce qui lui reste de ses enfants, le souvenir des bons moments.
Je pense aux enfants aussi. Qui n’auront pas la chance de grandir. Qui n’ont pas dû comprendre pourquoi ce papa, tout à coup, leur voulait du mal. Je n’ai pas pu expliquer à MM pourquoi, quand on aime, on devient à ce point méchant, au moment du drame. Je suis contente qu’elle soit absente, ces jours-ci. Je n’aurais pas pu expliquer cette fois encore, je n’ai pas plus les mots qu’en 2009.
Je pense aussi aux jurés. Ils ont eu du courage. Si, du courage. Ils devaient savoir que ce verdict ne les rendraient pas populaires. Je ne sais pas, cependant, s’ils avaient anticipé cette déferlante de colère et de jugements sur leur propre jugement. Je ne peux pas oublier que depuis 3 mois, ils vivent quotidiennement avec les détails horribles, les images sanglantes, la vue de deux adultes défaits, le souvenir de deux adorables enfants. Ils ont eu à faire l’effort de passer par-dessus la réaction instinctive que nous avons tous devant une telle tuerie, incompréhensible. Celle de vouloir faire souffrir le méchant docteur. Et pourtant, ils ont pris le temps de bien comprendre les méandres juridiques, les avis d’experts en psychiatrie. Se sont-ils fait emberlificoter, comme plusieurs le prétendent? Ces jurés, ce sont des gens comme vous et moi. Ça aurait pu être vous ou moi. Je ne sais pas si j’en aurais été capable. Je n’ai pas envie de les « blaster » ce soir. J’ai plutôt envie de leur lever mon chapeau.
J’ai aussi pensé à l’avocat, Me Poupart. Ma route a autrefois côtoyé la sienne, dans un environnement professionnel. Un homme charmant, intelligent, redoutablement intelligent. Et humain, très humain. Ça ne m’a pas surpris quand j’ai su qu’il avait pris la cause. Si quelqu’un pouvait réussir, c’était lui. Mais encore fallait-il qu’il soit intimement convaincu que son client avait réellement disjoncté ce soir là. Pour le peu que je connaisse de lui, je ne crois pas qu’il aurait pu défendre l’indéfendable. Assumer une défense difficile, oui, mais pas défendre l’indéfendable.
Et je pense aussi à lui. Au méchant docteur. À tous ceux qui souhaiteraient le voir croupir en prison, je réponds que sa prison, il l’aura en dehors. Tous les matins, il devra regarder l’homme qui a tué les enfants qu’il aimait. Tous les jours de sa vie, il devra faire face au mépris des autres. Il ne pourra plus pratiquer, ne pourra pas s’exiler, et ne pourra jamais oublier ni se faire oublier. Son enfer quotidien sera pire, à mon sens, que d’être enfermé aux frais des contribuables.
J’y crois, moi, qu’on peut souffrir à ce point qu’on disjoncte. Qu’on se comprenne bien: je ne blâme pas la mère, comme je l’ai entendu parfois aujourd’hui. Je n’enlève en rien les aspects narcissiques du méchant docteur et le fait qu’il y a d’autres méthodes pour engourdir la souffrance que de tuer ses enfants. Je ne comprendrai jamais qu’on puisse penser qu’en amenant ses enfants avec soi dans la mort, on les empêche de souffrir eux aussi. Mais surtout, je crois qu’on a tous cette fragilité et tous un point de non-retour. Ça n’excuse pas le geste, ça n’enlève pas l’horreur. Ça l’explique peut-être un peu. Et c’est ça qui fait peur. Le monstre en soi, comme disait Foglia je crois.
Je pense. Trop.
Je suis bien d’accord avec toi. Je suis d’ailleurs étonnée de l’envie de vengeance qu’a la population. Cette histoire est parmi les plus tristes que j’ai vue dans ma vie. Ça termine avec 2 enfants morts, un couple brisé et 2 adultes détruits à jamais, 2 familles humiliées, brisées. Que le jury ait décidé peine de mort en arrachant chacun des ongles d’orteil du méchant docteur ou qu’on donne la sentence qui a été donnée, ça ne réparera rien. Rien. Guy Turcotte devra vivre pour le reste de ses jours avec la voix de ses enfants qui lui demandent d’arrêter et ce sera ça sa prison. Et nous tous, avec la crainte que le monstre se réveille en nous ou en quelqu’un qu’on aime et on portera tous un peu plus attention aux signaux d’alarme, et ça, à mon humble avis c’est un tout petit, si minuscule, pas vers une société un peu meilleure et c’est déjà mieux que l’envie de punir quelqu’un parce qu’il avait posé un geste, que l’on interprète comme étant une vengeance.
Merci pour ce texte magnifique — et tellement nécessaire. Merci.
Votre billet est très bien écrit, mais de mon point de vu, la population a le droit de s’interroger, de mettre en doute et d’être ébranlée par le verdict qu’à reçu cet homme. Cela ne signifie pas que l’on ne respecte pas le travail des jurés, tout simplement qu’il est difficile de comprendre un tel choix pour plusieurs raisons.
Mais je ne crois pas qu’on leur en veuille à eux, ce n’est pas de leur faute, il s’agit de justice, justice rédigée et dirigée par des Hommes. La justice est un concept humain et celle-ci est donc loin d’être parfaite. La justice est manipulée par les personnes intellectuelles de ce milieu, la preuve est que l’on nous dit que des troubles mentaux en droit ne sont pas les mêmes que les troubles mentaux en médecine. Pour moi, c’est tout dire!
Pour cette envie de vengeance que l’on attribue à la population, je crois que c’est erroné d’utiliser ce terme. La vengeance implique une durée dans le temps, une manière de faire, soit de reproduire le mal qui a été réalisé. Demander d’emprisonner un homme en lui prodiguant tous les soins nécessaires à sa réhabilitation ce n’est pas une vengeance, en revanche le torturer physiquement de la même manière voire pire cela est une vengeance. Alors il ne faut pas employer des termes qui ne sont pas à propos, cela leur fait perdre tout leur véritable sens.
Je trouve que l’on accuse facilement la population de son comportement alors qu’elle ne fait qu’exprimer son désarroi et sa non-compréhension face à une décision. Personne ne tue personne en disant haut et fort ce qu’il pense. Monsieur T, lui avec son désarroi et ses soi-disant troubles mentaux du moment, il a privé de leur vie deux jeunes enfants.
J’en aurais long à écrire sur le sujet, peut-être vais-je le faire sur mon blogue plutôt que d’accaparer le vôtre. Merci pour ce billet!
@Quelque part: tu as tout à fait raison. Si de cette horreur émerge une conscience de la fragilité et de l’absurdité, on aura gagné un peu sur la mort.
@Clément: merci à toi d’être passé et d’avoir laissé ta trace.
@Nicole: mon point n’est pas d’empêcher le public de s’exprimer. Mais nous sommes dans une ère où l’expression n’a plus aucun recul. Et j’ai bien pris soin de dire que des commentaires, il y en avait aussi eu des « fins », dans tous les sens de ce terme. Mais ce que j’ai entendu et lu m’a fait défriser, bien des fois. Et permettez-moi d’être, respectueusement, en désaccord avec vous: on ne tue peut-être pas « physiquement » en commentant haut et fort, mais on peut tuer psychologiquement des individus plus faibles. J’ai entendu des gens dire hier que les jurés étaient des caves, qui n’avaient rien compris, qui avaient remis dans la rue un monstre. Je ne sais pas comment je me sentirais ce matin si j’avais l’impression que les gens me trouvent cave. Ces gens resteront à vie marqués par ce qu’ils ont vécu depuis 3 mois. Ils devront être fait forts pour ne pas sombrer dans les prochaines semaines. Et quand j’ai entendu le terme « vengence », je n’y ai pas vu associé souvent celui de prodiguer des soins nécessaires. Ceci étant dit, je respecte votre point de vue, et j’admets que j’ai réagi à chaud, moi aussi 🙂 Merci d’avoir pris la peine de commenter: je demeure persuadée que des débats naissent la compréhension.
Bravo pour ce billet !
Non seulement très bien écrit, il tient compte de ce « monstre en soi » (très belle référence), cette part d’ombre que beaucoup préfère occulter. Superbe finale, très belle réflexion compte-tenu du caractère épineux et excessivement émotif du sujet. Effectivement, ça n’enlève pas l’horreur. Mais cela l’explique peut-être un peu
Je découvre par le fait même les Chroniques du Patio. Contente d’y trouver autant de profondeur.
Je ne comprends pas…..
Mon coeur pardonne, mais ma tête ne veut pas pardonner.
La mère ou le père est à l’enfant en développement ce que la société et ses institutions sont par rapport à l’adulte en croissance personnelle.
Le petit garçon qui donne un coup de poing à sa petite soeur parce qu’il est en colère contre elle agit envers elle avec violence. Ses parents, particulièrement la mère, porteuse des valeurs familiales lui apprend rapidement qu’il doit contrôler sa colère et qu’il ne doit pas frapper sa petite soeur. Elle lui donne une punition pour lui faire comprendre qu’il y a des limites dans l’expression de ses pulsions et que ce comportement est interdit. À l’école, on apprend à l’enfant qui agit avec violence à ne point se comporter ainsi et on lui donne aussi une punition pour le faire réfléchir et comprendre qu’il ne doit pas répéter ce comportement car il est interdit.
Nous tous, être humains, nous avons nos souffrances qui se ressemblent toutes et nous avons tous également des pulsions que nous pensons qui soulageraient notre souffrance si nous les laissions aller s’exprimer. Ce qui nous différencie par contre, c’est notre ADN, notre structure de personnalité, les valeurs que nous avons intégrées au cours de notre développement et notre capacité à nous contrôler que nous avons appris à des degré divers au cours de l’enfance, l’adolescence et de l’âge adulte lorsque la colère monte en nous. Car rappelons-le, la colère n’est que l’expression d’un manque par rapport à ce qui est pour nous essentiel, il s’agit donc du reflet d’une souffrance intérieure.
Quand je pense au geste posé par le Dr, mon coeur a suffisamment de compassion et d’amour pour comprendre et lui pardonner.
Mon coeur pardonne, mais ma tête ne veut pas pardonner…
Non, ce n’est pas que ma tête ne pardonne pas à cet homme qui était en grande souffrance intérieure, mais tout simplement, ma tête ne pardonne pas au système judiciaire qui est là comme la mère et l’école pour rappeler les interdits et les punir lorsqu’ils ne sont pas respectés.
Nous avons tous comme être humain, selon notre structure de personnalité et notre développement un niveau de tolérance qui nous est propre face à la violence et aux gestes interdits, ce niveau sur une échelle graduée. Mais la société et ses institutions sont là pour nous montrer et nous garantir une norme. Nous avons tellement démystifié la maladie mentale qu’aujourd’hui, le verdict est venu me confirmer que cette norme est bien élastique et que quiconque, je dis bien quiconque peut la transgresser. Qui est le mieux placé pour juger de la souffrance dont nous souffrons? Nous-mêmes. Si je suis un être humain totalement bien adapté dans la société et qu’à un moment donné, je souffre à tel point que j’ai envie de faire mal à l’autre, j’ai mon propre système de régulation intérieur qui me dira de me contrôler. Nous avons tous en nous ce système de contrôle. Si la société donne la permission à quiconque de ne plus se contôler, sous prétexte que l’être humain a le droit de poser des gestes aussi répréhensibles lorsqu’il souffre, cette même société laisse tout droit ouverte la porte aux transgressions de toutes sortes à l’égard de la violence.
Mon coeur pardonne, mais ma tête ne veut pas pardonner….
Le système judiciaire refuse à un être humain en phase terminale de cancer d’être assisté d’une personne qu’il aime à l’euthanasie pour mourir en toute dignité, mais ce même système judiciaire accepte qu’un homme qui souffre et qui n’arrive pas à contrôler sa souffrance tue ses propres enfants.
Non, je ne comprends pas.
Mon coeur et ma tête ensemble disent non à toute forme de violence.
Bravo pour ce billet !!!!
@Mawouim : bienvenue sur mon patio! Installez-vous confortablement, mais ne vous attendez pas à toujours autant de profondeur: je peux être parfois d’une insignifiance totale, vous savez…
@jenecomprendspas: moi non plus, je ne comprends pas. Et vous avez raison, la vie est injuste. On ne s’en sort pas.
@Anthony: merci!
Tant mieux pour l’insignifiance totale par moment 🙂 Ça créer un juste équilibre ! Et c’est d’autant plus représentatif d’une personne vraie !