Il fait froid aujourd’hui. Il mouille, il vente. C’est l’automne dans sa version moche. La tête enfoncée dans les épaules, cachés sous leur parapluie, les passants marchent vite, regardant le sol pour éviter les flaques d’eau. L’humeur des gens est à l’image de la météo. Moche.
Ce matin, aux abords du métro, deux itinérants. Un jeune, souriant, de ce sourire qui doit tout aux paradis artificiels, offrait généreusement sa bouteille de bière à ceux et celles qui s’approchaient. « Une p’tite gorgée pour te réchauffer, ma belle? » Presqu’envie de lui dire oui, juste pour lui dire à quel point le geste était gentil, à défaut d’être invitant. Pressés à cette heure de pointe, les gens l’évitaient du regard et faisaient de grands détours pour ne pas s’en approcher. Un vieux, en discussion avec lui-même, s’invectivait dans un mélange d’anglais, de français et de mots empruntés à l’espagnol et à l’italien. Lui, il en voulait aux passants, leur montrait le poing et sa bouteille vide.
Deux itinérants. Qui passeront l’hiver à chercher un peu de chaleur dans les bouches de métro et qui se résoudront à quémander une place à l’accueil Bonneau quand janvier arrivera. Deux itinérants qui, avant, étaient le frère, le fils, le père de quelqu’un. Ont-ils tout quitté, pressés par leurs démons intérieurs? Ont-ils été mis à l’écart de leur famille, à bout de dealer avec eux? Derrière ces deux itinérants, deux histoires tristes, déchirantes. Même si c’est leur choix.
Deux réalités dans ma ville aux cônes oranges. Ce matin, dans cette température moche, j’aurais voulu aider. Mon coeur s’est un peu serré de voir ces deux itinérants qui, comme feuilles au vent, tourbillonnaient dans cette pluie froide de fin d’octobre. J’aurais voulu… je ne sais pas quoi. Pour un moment, j’aurais voulu retrouver la naiveté de mon adolescence et penser qu’on pouvait changer le monde et éviter la misère dans notre pays si riche. Et puis, le quotidien m’a happée.
Aouch. Tu viens de me toucher direct au coeur. C’est vrai qu’on a envie de les aider ces sans-abris, et je lisais récemment que les centres d’accueil sont inquiets de l’hiver qui vient. Pour la première fois depuis des années, les centres d’accueil ont passé l’été à pleine capacité, alors qu’ils sont à 70% d’habitude. Les responsables de ces centres, qui sont aux premières lignes du malheur et de la pauvreté, voient la misère ramper vers les murs des grands building. Notre ville est moins riche qu’elle ne l’était.