13 mars 2020

Ce vendredi-là, j’ai fermé mon ordi au bureau, j’ai arrosé mes plantes et j’ai mis mes gants bleus pour prendre le métro. Un peu plus tôt, merveilleuse merveille m’avait dit que le Cegep devançait la semaine de relâche et qu’elle aurait un break de 2 semaines. Le Mammouth m’avait raconté le point de presse du PM. Avant de quitter pour ce que je pensais être une pause de quelques semaines, j’avais eu une discussion avec un collègue, lui disant que je n’étais pas trop inquiète pour le virus, mais plus pour notre capacité hospitalière, surtout après l’avoir vu de l’interne pendant mon court séjour dans un CIUSSS.

Le lundi suivant, de retour à mon bureau pour y prendre quelques dossiers en attente du retour au travail, on se souhaitait de revenir rapidement, que tout irait bien et que ce serait vite du passé. Au retour à la maison, un peu fiévreuse, j’ai avalé des tylénols en me croisant les doigts de ne pas avoir attrapé le maudit virus, et je me suis couchée.

Les mois qui ont suivi sont un peu brumeux. La messe de 13h00, les chiffres dévastateurs des morts en CHSLD, les tartelettes portugaises, le lavage systématique de tout ce qui passait le cadre de porte. Le cerveau qui refusait de saisir l’ampleur de la catastrophe. Les petits moments volés – une soirée distancée dehors avec des voisins, un apéro chacun dans son entrée qui a fait tant de bien au moral, ou ceux en zoom terriblement frustrant, les lectures pour compenser l’arrêt des audiences, la douceur du printemps et de l’été. Le sentiment d’échapper à l’horreur, tout en sachant que si le maudit virus entrait dans la maison, nous étions grandement à risque de complications. L’attente d’un médicament ou d’un vaccin. Le rythme plus lent et pas si désagréable qui s’était installé. La reconnaissance de pouvoir être tous ensemble dans une grande maison, sur un grand terrain, dans une ville remplie de parcs. Le sentiment de solidarité, de « tous ensemble » et l’espoir que le pire était derrière nous.

Puis est arrivé l’automne 2020. Une autre vague. D’autres restrictions. Des gens qui ne suivent pas les consignes. Un début de fracture, une fêlure. Une première impression que la belle solidarité s’effritait, juste au coin. Il y avait ceux qui suivaient les consignes, et ceux qui commençaient à s’en moquer. Les arc-en-ciel décollaient des fenêtres, décolorés. Une toute petite craque.

2021 devait porter tout l’espoir du monde. Et pendant quelques mois, on y a vraiment cru. On a recommencé prudemment à fréquenter des amis, on est allé au resto, au cinéma. Mais le maudit virus nous réservait une surprise. Un variant pas commode. Autour, des amis pourtant hyper prudents testaient positifs. Et de nouvelles mesures, pour essayer de contrôler l’incontrôlable, ont agrandi la craque. Jusqu’à en faire un trou béant. Une déchirure profonde entre deux mondes qui ne sont plus en mesure de se comprendre. Et comme toute plaie non traitée, celle-ci s’est mise à suinter. À sentir mauvais, comme dans odeur de diésel dans la rue d’Ottawa pendant des semaines.

J’ai eu mes moments de colère, d’incompréhension. Ça ne me rentrait pas dans la tête qu’on puisse nier l’évidence, qu’on mette son petit moi individuel devant le nous collectif. Ça me heurtait profondément dans me valeurs, de lire des gens condamner d’un côté comme de l’autre, s’injurier et se braquer dans des positions extrêmes. J’acceptais qu’on avait collectivement atteint un seuil de fatigue pandémique. J’acceptais même que des discours qui ne font aucun sens pour moi manifestement en font pour d’autres. Libââârté!!!!

J’ai calmé ma colère, tout en étant profondément inquiète pour la suite. Pas pour la maladie, non, mais pour cette colère déchaînée et totalement décomplexée, pour cette nouvelle réalité où on considère que de menacer de mort des politiciens, des journalistes ou de purs inconnus c’est ok. Que de s’engueuler en public c’est normal.

11 mars 2022. Ce vendredi, je fermerai mon ordinateur dans mon bureau à la maison, et je descendrai écouter les nouvelles au salon, avec le fol espoir que Poutine aura compris le bon sens et donné ordre à ses armées de cesser de tirer sur des civils qui ne méritent sûrement pas de finir ainsi.

Demain, la grande majorité des mesures sanitaires sera chose du passé. Il sera impossible de revenir en arrière, me semble-t-il, même si un nouveau variant se montrait le bout du nez. Ceux qui, comme nous, présentent un risque, auront la responsabilité de se tenir loin, de mettre une croix sur certaines activités, de ne pas retrouver une vie tout à fait normale. Je l’accepte, et je n’en tiens pas rigueur à ceux qui ont fait des choix autres que les miens. Je ne veux pas que la colère envahisse ma vie, qu’elle m’enlève du temps de qualité avec des amis et de la famille. Faire la bise à de purs étrangers ne me manquera pas, et j’aurai juste l’air weird de me précipiter sur ma bouteille de purell après avoir serré une main dans une rencontre.

Dans 3 jours, ça fera 2 ans. Deux ans de vie entre parenthèses. Pourtant, depuis 11 jours, la pandémie est passée au second plan. On ne mourra pas du virus, mais peut-être d’une attaque nucléaire parce qu’un fou en aura décidé ainsi.

J’espérais il y a deux ans qu’on en tirerait des leçons sur la fragilité des choses, sur notre mode de vie, sur nos choix de société. Ça m’apprendra à être idéaliste!

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