Une grande dame

Dans mon autre vie, celle d’avant Mammouth et ma merveilleuse merveille, j’ai cotôyé des gens extraordinaires. Importants, certes, mais ce n’est pas ce qui faisait leur « extraordinairité ». On peut être premier ministre et être un parfait trouduc, et être un obscur député dans les rideaux et être merveilleux. Être le PDG d’une très grosse boîte et se comporter comme le dernier des goujats, ou être le portier d’un hôtel minable et mettre de la joie dans votre journée. Dans mon livre à moi, pour parler comme un journaliste sportif dont le nom m’échappe, le fait d’être extraordinaire n’est pas lié au poste, il est lié à ce qui fait l’humanité de l’individu.

J’ai eu le privilège de collaborer avec certains d’entre eux. Aujourd’hui, une grande dame de la politique a annoncé son départ. Et en apprenant la nouvelle, j’ai vu défiler plein de souvenirs. Une trattoria à Naples. Un meeting interminable avec des ambassadeurs tous plus empesés les uns que les autres, au point ou l’envie d’en pincer un, juste pour voir s’ils sont vivants, devient obsédante. Une soirée sombre, assises dans son bureau, souliers enlevés, à soupeser le pour et le contre d’une décision difficile. Des regards complices, des fous rires à s’en donner mal aux joues, mais aussi une main sur le bras quand la peine était lourde. Empreinte de pudeur, notre relation professionnelle se situait parfois du côté d’une relation amicale, presque mère-fille, une reconnaissance tacite de se reconnaître l’une dans l’autre, malgré nos différences.

Quand j’ai quitté le milieu, et malgré ma difficile admission que j’en avais ras-le-pompon de cette vie de fous et l’aveu que je n’arriverais pas à conciler ce travail et la maternité, je l’ai fait le coeur gros, avec le sentiment de l’abandonner, de la laisser tomber. Étrangement, j’avais un peu le même sentiment que lorsque j’ai quitté la maison paternelle pour voler de mes propres ailes: un peu de fébrilité, beaucoup d’appréhension et un fond de culpabilité. Et puis la vie continue, on se voit moins souvent, on s’érige des barrières professionnelles et personnelles.

Aujourd’hui plus que jamais me confirme dans l’idée qu’on est toujours plus apprécié quand on n’y est plus: celle que tous les commentateurs de la scène politique envoyaient au Sénat, ou dans les rideaux, à tous les remaniements ministériels est présentée comme le « roc de Gibraltar » des différents gouvernements auxquels elle a appartenu. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire à cette ironie.

Bien au-delà du bilan politique qu’on pourra tracer d’elle, c’est la femme qui m’a marquée profondément. Son parcours, mais surtout le fait que pour elle, c’est d’abord l’humain qui compte. Partout ou elle a passé, son premier geste a toujours été de se promener sur les étages des différents ministères qu’elle a occupé, afin de rencontrer les fonctionnaires. La travailleuse sociale de formation qu’elle est n’a jamais été complètement délogée par la politicienne.

Merci. Auprès de vous, j’ai appris beaucoup. Que la vie vous soit douce, maintenant.

5 réponses sur “Une grande dame”

  1. C’est un bel hommage que tu lui rends.

    Tout à coup, ça l’humanise… Parce que pour être franche avec toi, j’avais toujours eu l’impression qu’elle était hautaine. Comme quoi la perception que l’on a d’une personne vue de l’extérieur peut parfois être très différente de ce que les gens sont vraiment.

  2. Je me souviens de toi à notre première rencontre et à tout ce que tu dégageais et tout ce que je peux dire c’est que ça en prend une pour en reconnaître une autre.

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