J’ai un nouvel ami. Il s’appelle Georges. Il vit ici, entre les murs d’un édifice aux couloirs lugubres.
Le jour, quand je travaille, il reste dans sa petite chambre, à peine plus grande qu’une cellule de moine. Un lit, un bureau, une chaise droite. Quelques livres d’enfant, dont il suit les mots du bout de son doigt jauni par la cigarette. Je ne sais pas s’il lit réellement, ou si il a appris par cœur ces mots qu’on lui a lu des dizaines de fois.
Quand l’édifice se vide de ses fourmis laborieuses, il sort. Il fait le tour de l’immense bâtiment, deux fois, parfois trois, en fumant cigarette sur cigarette. Il parle au vent, s’arrête pour contempler le grand jardin entretenu par ses pairs, laisse le vent jouer sur ses joues et sa barbe mal rasée, puisqu’on ne lui laisse que de vieilles lames émoussées. Il erre, parfois longtemps quand le temps doux lui permet et ne regagne son logis qu’à regret.
Le matin, quand j’arrive, il est là. Pas encore enfermé pour la journée. Il fume une dernière cigarette puisqu’on lui interdit de le faire à l’intérieur, maintenant.
Les premiers jours, il baissait la tête, refusant tout contact visuel, ne répondant pas à mon « bonjour! » probablement trop sonore pour lui. Puis, petit à petit, il a esquissé un timide sourire, et a fini, au bout deux mois, par répondre à ma salutation.
L’autre matin, il a tendu la main vers moi. J’ai reculé, un peu, par surprise plus que par peur. On m’a tellement dit de me méfier. Que les fous, ce sont des imprévisibles. Il a senti mon recul, et je l’ai senti blessé.
Ou peut-être que j’ai imaginé son émotion. Le lendemain, il n’y était pas.
Aujourd’hui, il était revenu, fidèle au poste. Je me suis arrêtée, et je lui ai demandé comment il allait. Il m’a fait un sourire, a pris ma main et l’a mise sur son épaule, en disant « ami. Georges est ton ami ».
Je sais pas pourquoi, ça m’a remuée. Les couloirs sont toujours aussi lugubres, mais j’ai un nouvel ami. Il s’appelle Georges.
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Il s’agit d’une fiction, bien entendu. Mais depuis quelques mois maintenant, je travaille dans le milieu de la santé, tout nouveau pour moi. Les récents articles sur la santé mentale m’ont touchée. Des Georges, j’en côtoie tous les jours. Je leur souris. Et j’espère que ce sourire leur fait du bien.