Odeurs d’enfance

On ne se retrouve pas avec un surplus de poids parce qu’on vit de l’air du temps, on s’entend là-dessus. J’aime manger. J’aime me promener au marché public et tâter, soupeser, choisir mes fruits et légumes. Je ne peux résister à un panier de pêches que j’imagine juteuses, juste un peu résistantes sous la dent.

Oui mais, une fois le panier ici, qu’on en a mangé 4, on fait quoi avec le reste? Il m’est alors revenu hier un souvenir. Un souvenir de pudding aux pêches. Ma grand maman.

Non, ma grand-mère n’avait rien des « bonnes grands-mamans ». Elle était bouguonne, un brin acariatre, certaines fois à la limite de la méchanceté crasse. Elle répétait que si elle avait eu le choix, elle aurait eu une carrière, pas de mari, pas de marmots. Gentil encore pour sa descendance, mais quand on refuse de regarder les « filles de Caleb » parce qu’à quelque part, c’est sa propre vie qu’on regarde (Ovila inclu), on peut comprendre l’amertume de la vieille dame. Qui a refusé jusqu’à son dernier souffle l’indignité de la vieillesse. Et qui était d’une beauté à couper le souffle.

J’étais sa préférée. Sa « dernière » fille. Même si elle mélangeait mon prénom avec celui d’une tante… Quand elle a fermé sa maison pour aller vivre en centre d’accueil, c’est à moi qu’elle a laissé ses choses. Quand on a tiré le diable par la queue pendant des années, on ne laisse pas une fortune. Quelques bijoux. Quelques beaux plats de service. Mais surtout, surtout, ses livres de recettes. Ça, ça vaut de l’or.

Et au beau milieu de « La cuisine raisonnée » de Jehanne Benoît, plein de recettes écrites de sa main, de sa belle main d’écriture de maitresse d’école. Sans fautes d’orthographe. Avec les quantités du temps – 2 oeufs, les gros comme ceux de chez Steinberg, gros comme un poing de graisse Crisco, une pincée généreuse (souligné le généreuse) de sel. Tout y est: le fameux pudding aux pêches, le gâteau au lait chaud, la tarte au chocolat.

Je vous écris, enrobée de l’odeur du pudding aux pêches qui cuit doucement. Ma merveilleuse merveille m’a aidée à mélanger les ingrédients (hola, on fait quand même santé: on a coupé la quantité de sucre en 3, pris du pain multicéréales plutôt que le pain blanc tranché que grand-mère utilisait et omis le beurre recommandé). Tout à l’heure, on dégustera le fruit de nos efforts et j’aurai l’impression, pendant quelques minutes, que toute ma lignée de femmes est réunie autour de ce délicieux dessert. Ce sont ces odeurs d’enfance que je veux transmettre à ma merveilleuse merveille, tout comme elles m’ont été transmises par ma mère et ma grand-mère. Et je souhaite, secrètement, qu’à 40 ans, ma fille se souviennent de ces odeurs avec la même joie profonde que je ressens ce matin.

5 réponses sur “Odeurs d’enfance”

  1. Comme je te comprends… moi c’est la tarte du Nord qui me fait saliver (c’est d’ailleurs pour cela qu’après 5 semaines de vacances sur le vieux continent, je suis contrainte d’entamer un régime!!!!!)

  2. Trop précieux les recettes de grand-maman. Merci pour le souvenir, la description tristement vraie des grand-maman qui en sont par convenance, pas par choix.

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