Manon, viens danser le ska

Une allusion à Donald Lautrec, chez les Soeurs, m’a soudain replongée dans les souvenirs d’une terrifiante soirée. Une de celles que vous ne voulez jamais revivre, mais qui vous donne du matériel à histoires pendant des années…

Picture this, comme disait Sofia. Jeune attachée politique, responsable d’un dossier qui faisait en sorte que je passais mes journées au téléphone avec les gens des comtés, on finit par développer des amitiés « virtuelles » avec certains d’entre eux, peu importe la couleur de leur parti. Au point où dans certains cas, l’envie d’aller voir derrière la voix se fait réelle. Comprenons-nous bien: j’ai toujours eu pour devise de ne jamais mêler amour et travail, et pour moi, le « never fuck around the payroll » est un principe sacré. Alors l’idée d’aller luncher ou même prendre un verre avec un collègue lointain était tout à fait exempte de motifs plus ou moins avouables.

Appelons-le Réjean*. Je devais lui parler au moins une fois par semaine. Gentil, drôle, humain. Comprenant les limites et respectueux. Lorsqu’il m’a demandée si je venais parfois à Montréal et que le cas échéant, il aimerait bien qu’on prenne le lunch ensemble, je n’ai pas pensé 20 secondes avant de dire oui. Pour moi, c’était un collègue de travail. Point à la ligne. Rendez-vous est donc pris pour un vendredi.

La veille, Réjean m’appelle pour me dire qu’il ne pourra pas se libérer pour le lunch, mais qu’il est prêt à m’échanger cela pour un souper, si je suis libre. Bien sûr que je suis libre, et comme je passe le weekend à Mourial, pourquoi pas? Première erreur fatale: le lunch, aucun problème. Le souper? Never ever. Trop long, pas moyen de se sauver en prétextant un rendez-vous dans quelques minutes.

Comme je ne connais pas bien Mourial, Réjean offre de venir me chercher chez la copine où j’habite. À Laval. Pour me ramener manger dans un resto du Vieux-Mourial. J’ai perdu une talonnette de ma chaussure, je sonne exactement comme une calèche sur les pavés inégaux. Rappelons-nous que j’ai 28 ans, je suis célibataire, jeune et pétard – enfin, un peu pétard… Réjean lui, a l’air d’un mononk. On est au début des années 90, et Réjean a définitivement adopté le look « Jacques Parizeau », bedon en moins. Mais bon, je soupe avec un collègue, pas avec un amoureux potentiel.

J’aurais dû me méfier: un resto pseudo-russe, un serveur qui a le même accent que Septimiu Sever dans « Un signe de feu », un menu pour dames où les prix ne sont pas affichés, une table réservée dans une alcôve où pendouillent des rideaux de velours grenat poussiéreux, et un joueur de violon qui vous zigouille la chanson thème du Dr. Zhivago en moins de deux… Mon collègue avait manifestement des intentions moins amicales que les miennes. Et c’était bien mal me connaître, moi qui suis romantique comme une porte de congélateur, que de penser qu’un pareil set-up de « trappe à filles » allait me séduire!

Sitôt l’apéro commandé, il me regarde droit dans les yeux et me sors la phrase qui tue: « Parle-moi un p’tit peu de toi »… Sans me laisser le temps, d’ailleurs, de répondre, il enchaîne en me parlant de lui. Tout ce que je n’ai jamais voulu savoir sur un collègue! De sa naissance à la seconde où il m’avait vue, et où je lui étais apparue comme la femme de sa vie. Celle dont il avait rêvée. Celle qui s’établirait avec lui dans un bungalow de banlieue, qui lui ferait 5 enfants et qui partagerait son bonheur de posséder un buste d’Elvis!

Mais Donald, me demanderez-vous? Non, Réjean n’est pas Donald. Mais Donald était l’idole de Réjean. Depuis toujours. Et particulièrement depuis qu’il avait participé à un quizz animé par Donald. Et qu’il y avait gagné, en plus d’un prix en argent, la collection, que dis-je, l’oeuvre complète de Donald.

Là, je suis franchement devenue hystérique: je l’imaginais, allongé sur un lit rond recouvert d’une peau synthétique, habillé d’une longue robe de chambre, le cou recouvert d’une ascot assortie, me faisant signe langoureusement de venir m’étendre près de lui, avec en fond sonore « le mur derrière la grange » de Lautrec jouant en boucle… J’ai couru à la salle de bain – qui n’avaient rien des toilettes de Chez Jules, et j’ai téléphoné en cachette à ma copine, qu’elle me « page » au plus sacrant… Elle, morte de rire, a fait durer le supplice encore 45 minutes avant de s’exécuter. Les 45 plus longues minutes de ma vie.

Réjean était, est toujours probablement, un bon garçon. À qui j’ai sincèrement souhaité de trouver une femme qui comprendrait vraiment son amour d’Elvis et de Donald. Parce que des goûts et des couleurs, il ne faut pas discuter. Quant à moi, je ne peux plus repenser à cette soirée sans avoir envie d’une vodka bien froide. Pour oublier.

10 réponses sur “Manon, viens danser le ska”

  1. « Romantique comme une porte de congélateur »!!! Tu m’as bien fais rire! Je t’imagines trop bien. Le genre de truc qui devrait se reproduire 20 ans plus tard pour « re » réagir!!

  2. Je suis crampée… j’imagine le topo en bonne visuelle que je suis… 🙂

    et t’as oublié les miroirs au plafond 😉

  3. J’aurais aimé te répondre avec autant de poésie que ton billet mais rien ne peut t’accoter aujourd’hui. Je me contenterai d’une réponse laconique : Certains jours c’est vrai qu’il vaut mieux faire pipi AVANT de lire les copines.

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