C’est ce que je me dis tous les matins. Et tous les soirs. Et parfois plusieurs fois dans la journée.
On le savait, le prochain budget va sonner la fin d’emploi pour plusieurs de mes collègues, de mes employés voire même de certains patrons. L’échéance se rapproche, et m’oblige à utiliser toutes mes forces, mais aussi mes faiblesses de gestionnaire. Parce qu’il n’y a pas de honte à admettre que nous ne sommes pas parfaits. Mais on dirait que c’est plus facile de dire que nous ne sommes pas parfaites…
Je regarde mes collègues qui vivent, en même temps que moi, ces temps troubles. Tous et toutes, nous réagissons avec notre propre expérience, notre propre bagage émotionnel. Et sans vouloir faire du sexisme, mes collègues féminines ont eu moins de pudeur à montrer que les choix que nous devrons faire nous atteignent. Profondément. Je suis toutefois persuadée que mes collègues masculins le vivent aussi durement, mais le vivent autrement.
En réunion d’équipe, vendredi, j’ai dit à ma gang que je leur demandais de faire un acte de foi, de me faire confiance. Qu’au final, nous serions probablement moins dans quelques mois, mais que j’avais travaillé, avec mes autres collègues, en les gardant tous et chacun en tête, parce qu’en bout de piste, j’aurai été équitable, transparente et juste. Je sais qui vient d’avoir un bébé, qui vient d’acheter une maison, qui prend soin de ses parents âgés, qui a un conjoint qui vient de perdre son emploi. Peu importe qui seront les perdants et les survivants de l’exercice, il y aura, derrière le papier officiel, un drame humain plus ou moins grave. Un humain qui sera affecté pour quelques jours, quelques semaines, ou plusieurs mois.
Et il y a moi. Personne ne m’a dit que mon poste serait préservé. Il se pourrait que je sois moi-même sur le marché des « agents libres » d’ici quelques semaines. Je ne suis pas angoissée outre mesure, mais ce n’est pas un sentiment agréable. Je me sens prise entre deux feux: être le capitaine de mon bateau, mener mes troupes à bon port, que ce soit parce qu’ils gardent leur emploi ou que je les aide à se replacer, mais prendre soin de moi également, pour ne pas me retrouver le bec à l’eau.
Garder l’équilibre. Le difficile équilibre entre prendre soin des autres et prendre soin de toi. Ne pas tout donner, mais ne pas tout garder. Séparer l’émotion de la raison, et la raison de la froideur. Laisser le bureau au bureau, et la maison à la maison. En conservant ma santé mentale. Enfin, si tant est que je sois encore en bonne santé mentale 🙂
De tous les défis rencontrés depuis que je suis gestionnaire, celui-là sera le plus demandant. J’espère, de tout mon coeur, être à la hauteur. Aux yeux de mes employés, mais aussi à mes propres yeux. Tout ce que j’espère, c’est pouvoir continuer à me regarder dans le miroir, chaque matin, avec le sentiment que j’ai donné le meilleur, que j’ai pris les bonnes décisions.