Parfois, un reportage vient me chercher au plus profond des tripes. C’est le cas ce soir avec « Mémoire à la dérive », un documentaire sur 4 femmes atteintes de la maladie d’Alzheimer réalisé par Pauline Voisard. Un regard tout en douceur, tout en pudeur, sur une maladie terrifiante. Un reportage d’une infinie tristesse, mais également d’une infinie beauté.
Car ces femmes sont belles. Peut-être parce que je prends chaque jour conscience de plus en plus qu’un jour ce sera moi, cette vieille dame un peu (beaucoup?) chialeuse, fragile mais indépendante, consternée de devoir dépendre d’autrui de plus en plus, ces femmes m’émeuvent et me touchent. Ces femmes, ça pourrait aussi être ma mère, chez qui j’ai senti pour la première fois une fragilité à son dernier séjour ici. Elle est en santé physiquement et mentalement, mais l’âge est là.
Cette maladie me fait peur. Moi qui me suis frottée contre la mort annoncée de gens qui m’étaient précieux, et qui connaît la douleur que fait naître un diagnostique de cancer chez celui qui le reçoit et chez ses proches, je me demande comment on réagit quand on nous annonce que c’est votre lucidité qui s’en va, petit à petit. Je ne sais pas comment je réagirais si ma mère ou Mammouth en étaient atteints. Voir un être qu’on s’aime partir à petit feu, être physiquement là mais ne pas vous reconnaître, ça doit être terrible. Les voir mourir sans être mort, ça doit être insupportable. Une copine à moi a vécu cela. Elle a un peu partagé avec moi son sentiment d’impuissance et son sentiment de culpabilité au décès de sa mère, soulagée qu’elle était que ce cauchemar soit terminé.
Je ne sais pas non plus comment je réagirais si je me savais atteinte. Savoir que dans quelques mois, quelques années, je ne pourrais plus reconnaître merveilleuse merveille, ni Mammouth, ni ma famille, ni mes amis? La vie, ou l’amour de la vie, est-elle plus forte que le désespoir? Se laisse-t-on glisser dans l’oubli par résignation? Ou alors, comme Claude Jutras, choisit-on de quitter avant d’être quitté par sa lucidité?
À chaque fois qu’un numéro de téléphone m’échappe, que le nom de quelqu’un que je rencontre ne me vient pas spontanément aux lèvres ou que je cherche mes clés, j’angoisse. En même temps, que puis-je y faire? Que sera sera, chantait Doris Day… Que sera sera.