Tout va très bien, madame la Marquise…

Un seul printemps dans une année… une seule jeunesse dans une vie.

Simone de Beauvoir

Bon, je me fais rare, je sais. Mais les méchants microbes ont eu raison de moi: une infection dentaire, une grippe d’homme (comme j’ai été vaccinée contre la H1N1, j’en déduis que j’ai choppé la H2N2!), une infection urinaire… C’est peut-être bon pour la ligne, mais pour le moral, c’est l’enfer. Passer 5 jours au lit, être dépendante (quel horrible mot!!!!!) de la gentillesse de Mammouth, gérer ou plutôt essayer de gérer le bureau de la maison… Bref, c’était pas la joie. Mais en même temps, ce n’est rien en comparaison avec ce que d’autres vivent et je n’ai pas à me plaindre.

Il y a un an tout juste, j’étais à Disney en compagnie de Merveilleuse merveille et de ma maman. Aujourd’hui, je suis seule à la maison avec Mammouth, Merveilleuse passant la semaine chez sa grand-maman. C’est une période de grands changements: ma mère quittera bientôt sa maison pour un condo, et entre deux boîtes, elle et merveilleuse se refont des souvenirs pleins de larmes mais aussi gorgés de joies. La petite aide la grande à faire un certain deuil de sa vie dans cette maison, et participera cette semaine à l’achat de nouvelles choses pour la nouvelle maison de grand-maman. Pour ma mère, même s’il s’agit de sa décision et qu’elle la prend en toute connaissance de cause, c’est aussi tourner une page importante de sa vie, et faire un pas de plus en direction de l’étape ultime. Et pourtant, la maison restera la maison familiale, puisque c’est mon frère qui l’habitera désormais. Mais ce sera « chez parrain », et plus « chez grand-maman ». J’ai expliqué à Merveille qu’une maison, c’est plus que 4 murs et un toit (c’est aussi une sumpomp, hein, chéri!), mais que le plus important, ce sont les gens qui y habitent. Et les souvenirs.

Parlant de souvenirs, j’ai pris hier un lonnnnnnnnng café avec un très vieil ami que je n’avais pas revu depuis la naissance de merveille. Quel moment agréable. On s’est mis à jour sur nos vies, mais on a surtout renoué avec cette qualité de discussions que nous avons toujours eues. À une certaine époque, je m’imaginais très bien finir ma vie avec lui (il l’apprendra en lisant ce blog, et je le vois s’étouffer dans son thé!), mais si c’était arrivé, Merveille ne serait pas ici. Ça m’a confortée dans l’idée que dans la vie, il n’arrive rien pour rien. Pas que tout est prédestiné, écrit d’avance. Non. Mais que les choix qu’on fait ou qu’on ne fait pas nous amène ailleurs. Au fond, il suffit d’être disponible tant à ce qui peut arriver qu’à là ou ça doit nous amener. On a parlé de ça, d’amis communs et de plein d’autres choses. Je suis repartie de là légère, heureuse de ma vie et des choix que j’ai fait.

Le printemps arrivera bientôt – faut avoir la foi, à voir la neige tomber en gros rideau depuis tout à l’heure et la tempête de vent essuyée hier à Québec!, et ma jeunesse est peut-être loin, mais je l’ai vécu pleinement, et non, rien de rien, non, je ne regrette rien.

Entre le printemps de ma fille et l’automne de ma mère, j’en suis à vivre un bel été, comme un mois d’août ou je récolterai bientôt les fruits de tout ce que j’ai planté au cours des 25 dernières années. Vient-en, la cinquantaine! Tu me fais pas peur! 🙂

Sans mots. Toujours sans mots.

J’ai écouté hier soir l’excellent spectacle « Ensemble pour Haiti ». Un excellent spectacle, une générosité touchante. Un élan de solidarité, une voix unique devant ce malheur assorti d’une résilience extraordinaire. Au final, la tragédie qui accable Haiti a fait ressortir ce que nous avons de meilleur. La vraie question, cependant, c’est combien de temps nous serons encore pleins de bons sentiments.

Quelques voix discordantes, quelques gérants d’estrade qui ne sont probablement jamais sortis du pays mais qui savent, eux, comment organiser le chaos. À lire les commentaires sur certains blogues, je me dis que parfois, juste parfois, la race humaine me décourage et m’exaspère. Puis, un Luck Merville qui parle du fond du coeur sans prêcher la bonne parole, un Denis Coderre qui ne fait pas de politique avec le malheur, des millions de dollars amassés à coup de 5$ et de 10$, et voilà que je reprends espoir.

De l’espoir, par contre, il n’y en a plus pour Serge, dont on a retrouvé le corps hier. Je l’ai cotôyé au Québec et à Ottawa. Un homme solide, une fin horrible. Christiane, dans son communiqué, dit que Serge est mort en faisant ce qu’il aimait. Ça console, ça atténue la peine, mais ça ne fait pas disparaître la trise réalité.

Et puis il fait beau. Enfin, un peu de soleil, comme pour nous rappeler que malgré tout, « over the rairbow, blue birds fly ».

L’horreur. Sans mots.

Depuis mercredi, je cherche. Comment exprimer l’horreur, la compassion, la peine, l’angoisse? Comment faire pour se donner l’impression qu’on est pas totalement inutile? Donner? Oui, donner généreusement. Prier? Oui, même si je me dis que si Dieu existe, il est totalement injuste envers ce peuple. Après les inondations, après Jeanne, pourquoi faire trembler la terre?

Je n’ai pas les mots. Je songe à cet homme que je connais, dont on est sans nouvelles, et à sa famille. Comment tolère-t-on l’attente?

Je songe aussi à ces enfants qui demain seront sans parents. Est-ce une solution que de leur ouvrir nos coeurs, nos maisons? Pour se donner bonne conscience?

Je n’ai pas les mots. Juste une conscience aigue de notre bonheur.

J’écoute Louis Lemieux et Dany Laferrière. Ils ont les mots, la compassion et l’intelligence du coeur. Ça apaise. Tout comme les bras de Merveilleuse merveille, qui a préparé des petits mots pour les petits haitiens, qu’on  » leur enverra quand le facteur recommencera à passer, hein maman « .

Montée de lait

Vous avez passé un bon Noël? Ici, c’était plutôt formidable. Comme à l’habitude, on a acheté les cadeaux et les provisions à la dernière minute (vive l’adrénaline!), le Père Nowel est passé dans la nuit et a vidé son assiette, laissant des miettes de biscuits et de carottes, mais cette année, comme les grands n’étaient pas avec nous, l’arbre n’était pas enseveli sous les cadeaux. Les cadeaux, ils y seront au Jour de l’An, quand toute la famille sera réunie, incluant les grands-mamans.

Hier, nous avons reçu à souper. Des gens qui, pour toutes sortes de raisons, n’avaient rien à faire en ce 25 décembre au soir. Des gens de tous horizons, qui ne se connaissaient pas entre eux. Des enfants fatigués qui ont tenu le coup. Des adultes qui se sont retrouvés autour de conversations tantôt artistiques, tantôt politiques, tantôt technologiques. Et comme le veut la tradition, c’est à la tourtière, la vrâ, celle du Saguenay, que nous avons initiés et/ou régalés nos amis. Une bien belle soirée, remplie de chaleur humaine et d’amitié. Une soirée comme je les aime.

Alors pourquoi ce titre?

Ce matin, en lisant ma Presse, je tombe sur cet article:

http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/200912/26/01-934165-adieu-semaine-de-quatre-jours-a-lecole.php

Et plus je lis, plus la moutarde me monte au nez. Mettons d’abord quelque chose au clair: non, je ne suis pas objective. Mes parents ont tous les deux enseigné,  je suis issue du monde de l’enseignement. Pour moi, être prof, c’est une vocation, pas une job. J’admire ces gens qui ont le mandat d’apprendre à nos enfants à lire, écrire, compter. Qui leur donne 100 fois plus que la matière obligatoire. Je reconnais la lourdeur de la tâche, et je n’ignore pas qu’elle est de plus en plus difficile.

Mais bâtinsse! Nommez-moi un femme qui ne rêve pas de faire du 4 jours semaine????? Nous courrons toutes après notre temps, en essayant de conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Mais combien d’entre nous avons la possibilité de le faire? Non, je ne tomberai pas dans la démagogie de bas étage, mais combien d’entre nous avons plusieurs semaines l’été, finissons à une heure raisonnable? Je sais, vous m’argumenterez qu’elles sont de la correction à faire, qu’elles préparent la journée du lendemain, que… que… Je sais. Je peux également vous nommer un certain nombre de mes collègues fonctionnaires et gestionnaires qui apportent du travail à la maison. Régulièrement. Et pas parce qu’elles ne sont pas organisées. Parce que la tâche augmente partout.

Au fond, deux choses me troublent: je veux bien qu’aucune étude n’évalue les impacts sur les enfants qui se retrouvent une journée par semaine avec une autre enseignante, mais je suis loin de penser, comme le psy de l’Université Laval, que c’est la même chose que les soins infirmiers. C’est tourner les coins un peu rond dans la comparaison, me semble.

L’autre point, c’est que je me demande si le travail a encore une valeur dans notre société. Ou si c’est plutôt un outil pour nous permettre de vivre, point. Le cas des enseignants a des aspects particuliers, mais c’est la même chose partout. Alors quand on me sort l’argument que de ne pas permettre le travail 4 jours par semaine va décourager les jeunes d’envisager cette profession, je me demande quel signal on envoie.

Sur ce, je retourne à mes fournaux. Joyeux temps des fêtes à vous tous, lecteurs et lectrices encore fidèles! Je reviens, promis, vous faire mes voeux de nouvel an!

Good enough

Nanon, je suis pas morte. Pas désintéressée de la blogosphère non plus, et pas monopolisée par Twitter ou Facebook. Juste occupée à vivre à gérer, à recentrer et à (ap)prendre du temps pour moi.

Cet après-midi, par exemple, alors que Mammouth est parti avec la tribu au cinoche, me suis fais quelques plaisirs solitaires. Nah! je vois dans votre oeil, lecteur, une lueur coquine… Pantoute! Je me suis fait un thé à la menthe horriblement sucré (diabète welcome!), j’ai passé la balayeuse et j’ai écouté la télé.

J’ai écouté une reprise de Bazzo.tv. Surtout une discussion passionnante sur les « mères indignes ». À laquelle j’ai envie de réagir.

Comprenons-nous bien: je n’ai rien contre les mères indignes. Et surtout pas contre l’originale, Caroline Allard, une fille bourrée de talents qui mérite tout ce qui lui arrive. À cette mère indigne, qui nous a toutes permis de sortir du placard de la perfection, se sont succédées une série de mères toutes plus imparfaites les unes que les autres. Au point de créer un phénomène dont on discute à la télé, à la radio, sur les blogues, dans les magazines sérieux et les ceusses à potins et qu’on doit bien, dans le sérieux de nos facultés universitaires, analyser et décortiquer en moultes maîtrises.

Or, comme tous les phénomènes, y’a toujours quelque chose qui me titille. J’écoutais le bon docteur Chicoine dire que les bébés n’ont pas besoin d’une mère parfaite, Marie-Claude Barette parler de l’aspect « sacrifice » consenti de la maternité. Tout vrai. Mais un bébé a besoin d’une mère adéquate, et le sacrifice est proportionnel à ce qu’on perçoit devoir abandonner de sa vie d’avant.

Je les écoutais parler du besoin de sortir de la checklist de la perception maternelle – l’accouchement naturel, l’allaitement à perpetuité, les purées maisons, et j’en passe et des meilleures. Et je me suis demandée si, avec le phénomène des mères indignes, on n’avait pas remplacé une checklist par une autre – la dérision, le martini défendu, le besoin de crier au monde entier son imperfection? Remplacer une dépendance par une autre, est-ce une solution? On fait quoi, quand on est pas assez indignes?

Être mère, c’est difficile. On est jamais à la hauteur des attentes, et encore moins à la hauteur de ses propres attentes. C’est accepter, ou essayer d’accepter, que peu importe, on aura jamais tout compris, tout appris, tout perfectionné, tout rendu parfaitement. C’est vivre dans l’angoisse perpetuelle que quelqu’un, quelque part, pense qu’on a pas bien « élevé » ses enfants, c’est vivre dans l’inquiétude constante du devoir faire plus etou mieux.

Et c’est les regarder dormir, confiants. C’est aussi les regarder tracer leur propre chemin, pas toujours comme on l’aurait souhaité, mais bravement, armé de tout ce qu’on aura pu leur donner, malgré…

Bref, c’est juste accepter d’être une « good enough » mother, une « good enough » blonde, une « good enough » boss.

Ouais. I’ll drink to that!

Gestion de crises

Ces jours-ci, tout est urgent. Tout est exacerbé. Tout est… trop. Ouais, juste trop.

Test ultime hier: nous sommes en réunion – communément appelée journée organisationnelle. Après 4 mois dans mon nouvel emploi, il était temps de faire le point en équipe, de revoir nos priorités et d’établir des règles du jeu claires. À l’ordre du jour, notamment, le plan de gestion de crise en cas de pandémie de la grippe du code postal.

Comme nous étions à parler de ce dossier en équipe, j’ai commencé par dire que ma position en était une de risque minimum: tu fais de la fièvre, tu te sens grippé, tu as des enfants qui sont malades? Tu restes à la maison. On va équiper tout le monde avec le système de gestion de dossiers à distance. Tu peux travailler de la maison? Tu le fais. Et je n’irai pas vérifier personnellement si tu mouches vraiment et si tu te tousses les poumons hors de la cage thoracique. Bref, on ne met pas les collègues ou les clients en danger. Oui, j’ai fait provision de Purell. En cas de pandémie, on aura aussi des masques disponibles.  Mais pour l’instant, pas de mouvement de panique.

Mes gens sont des professionnels. Ils ne profiteront pas d’une pandémie pour se pousser au soleil, prétextant qu’ils sont malades. J’ai donc eu une discussion avec la grande boîte: dans la vraie vie, s’il y a effectivement une pandémie, personne ne sera en mesure de tester tous les malades. Alors exiger un papier médical relève du wishfull thinking, à mon avis. Tout autant que d’exiger un certificat de retour au travail… Les médecins ne s’entendent pas sur la durée de la contagiosité de la maladie… Et puis, entre vous et moi, la H1N1 ou une grippe ordinaire, who cares? T’es malade, tu restes à la maison!

En plein milieu de l’avant-midi, un coup de fil: une employée, malade, arrive de chez le doc. Elle est en pleurs, paniquée. Le médecin lui a parlé de potentielle H1N1. Elle était au bureau, mercredi. Fièvreuse. Elle a peur d’avoir contaminée tout le monde. Hum. Je serai donc la bêta testeuse du plan de contingence…

D’abord, la rassurer elle. Elle est dans le stationnement de la clinique, incapable de rejoindre son conjoint, inquiète pour ses enfants, inquiète pour elle, inquiète pour ses collègues.

Ensuite, voir avec la grande boite: avons-nous enfin des directives? Mouvement de panique à babord… Heu.. on est prêt. Enfin, on pense qu’on est prêt. Heu… c’est toi la gestionnaire, tu prends tes décisions de gestion. Tu assumes et tu nous tiens au courant. Heu… non, tu exiges un certificat. Heu… de maladie ou de bonne santé? Heu… Ouais. Je gestionne.

J’ai la totale: une employée enceinte, une autre dont le conjoint est en chimiothérapie, une dont la mère de plus de 90 ans a une santé plus que fragile, d’autres qui ont de jeunes bébés. Et pas de diagnostique clair: potentiellement, mais pas testé. Je fais quoi? Je me tais? Je parle, au risque de provoquer une panique? Gestionne, ma fille. Gestionne.

Nous aurons une position corporative, bien sûr. Mais en attendant, je gestionne. Avant d’aviser ma gang, j’ai pris le temps de réfléchir. J’ai d’abord géré ma propre panique: après ma double pneumonie de l’hiver dernier, j’ai pas envie de me taper une grippe. Deux grandes respirations plus tard, je me dis que les risques sont minimes, mais que même en prenant toutes les précautions du monde, si le virus décide de m’attaquer, je n’y pourrai rien. Fake…

J’ai ensuite indiquer à ma gang que leur collègue serait absente pour la semaine, et que son médecin lui avait dit qu’elle avait des symptômes s’apparentant à. Que pour le moment, il n’y avait pas de diagnostique, et que si je leur en parlais, c’est que je voulais qu’ils soient attentifs aux symptômes. Quant à l’employée enceinte, on lui a suggéré de contacter sa gynéco. Je leur ai transmis les liens internet des ministères de la Santé. Et nous avons en choeur pratiquer la chanson du lavage de main! C’est d’ailleurs devenu un running gag pour le reste de la journée: au moindre éternuement, c’était pause lavabo! Pas de panique, tout le monde a réagi en adulte.

En l’absence de diagnostique, aurais-je dû me taire? J’ai jonglé avec l’idée, mais je ne me serais pas sentie en paix avec moi-même si je l’avais fait. Tout est dans la manière d’aborder les choses. Au fond, c’était une bonne pratique…

L’autre

Il était affalé sur la boîte du téléphone. Savez, ces boîtes laides de Bell qui ont l’air de pousser sur les murs des stations de métro, ou dans les halls d’hôtel? Drôle d’endroit pour s’affaler. Debout dans le wagon du métro arrêté encore une fois à l’heure de pointe, je regardais distraitement les gens qui venaient de sortir à la station Rosemont, pressés de retourner à la maison, retrouver un amoureux, des enfants, un chat, un chien. À la limite, un poisson rouge.

Pas lui. Il était affalé sur la boîte téléphonique. Était-il sorti en même temps que les autres? Était-il déjà là quand nous étions arrivés? Et le métro, portes grandes ouvertes, ne repartait toujours pas. Je le regardais, incapable de détacher mon regard de cet homme d’âge mur, affalé. Quelque chose ne cliquait pas. Je ne savais pas quoi, mais un détail accrochait.

Puis j’ai compris. Ce léger mouvement d’épaule, c’est le mouvement qu’on fait quand on retient à grand peine ses larmes. Quand on étouffe par en dedans pour ne pas hurler. Il a relevé la tête, a essuyé ses yeux, puis a pris son front dans sa main. Toute la douleur du monde était dans ce geste.

Instinctivement, je suis sortie. Pour aller vers lui. Quelque chose dans son attitude criait à l’aide. J’ai fait quelques pas, il a levé les yeux, et a secoué la tête. Pour me dire de ne pas approcher. J’ai laissé partir le métro, en me disant que j’attraperais le suivant, que j’avais du temps. J’ai continué à le regarder, sans un mot.

J’ai pris le métro suivant. Il n’avait pas bougé. J’ai continué mon chemin, la tête pleine de questions. Pas par curiosité, non. Je me suis demandé quelle mauvaise nouvelle avait pu réduire cet homme à étaler pudiquement sa douleur, comme si elle l’empêchait d’avancer, de sortir de cette station bondée à l’heure de pointe.

Son amoureuse venait-elle de lui dire que tout était fini? Venait-il d’apprendre le décès d’un proche?

Dans un très mauvais scénario de film, ça commencerait ainsi:  » Terrassé par la nouvelle, il était incapable de bouger, peinant à reprendre son souffle… »

Sauf que ce n’était pas un mauvais scénario de film. Juste une « scène de la vie quotidienne » dans le métro. Et son regard me suit encore…

Hé! C’est dimanche!

…. ouais, pis?

Depuis mon retour au boulot, je cours après mon temps. Je suis en réunion non-stop, je me justifie par écrit pour me conformer aux règles, je dote et je radote. Les activités ont repris également à la maison, mais difficile de se mettre dans le mood automnal quand il fait un temps estival. Les arbres commencent à peine à rougir, l’eau de la piscine est cristalline, et si ce n’était de la pluie qui tombe aujourd’hui, j’aurais pensé à aller m’étendre sur ma chaise longue pour lire au soleil quelques heures.

Mais il pleut. Et l’humeur est sombre. Trop de morts* ces jours-ci. Des morts publiques, et des morts personnelles. Des petites morts, des illusions mortes, des feuilles mortes. Mais quand même l’impression d’avancer.

Professionnellement, les choses se placent. J’ai commencé à trouver « mes » marques. À élaguer l’héritage, à séparer le bon grain de l’ivraie. À faire tourner le bateau. Vendredi, en réunion d’équipe, j’ai commencé à voir les gens sourire. J’ai livré ce que je m’étais engagée à livrer, et le lien de confiance est établi. Enfin je crois. Je sais à quel point ces liens sont fragiles, mais je crois avoir manoeuvré correctement. Du moins, je l’ai fait en toute transparence.

J’ai douté. Beaucoup. C’est sain, le doute. Ça vous force à remettre en question pas mal d’absolus, ça épuise, mais ça produit toujours des résultats dans mon cas. Je doute encore un peu, mais les certitudes se réinstallent.

Et puis j’ai réalisé que quinquagénaire et quinquaillerie, c’est lié. À 50 ans, vous commencez à avoir besoin de pièces de rechange. Là, c’est mon genou, tanné de supporter un excès de poids, qui se rebelle. D’ici quelques années, aurai-je droit à une articulation en titane? En aluminium léger, garanti 30 ans?

C’est dimanche. Cet après-midi, pour rester dans le ton, nous irons voir « Il pleut des hamburgers »…

Comme dirait l’autre « Bonne semaine »!

* Le décès de Pierre Falardeau me désole. J’aimais m’énerver quand il s’énarvait. Celui de Nelly me désole aussi. Mais pas pour les mêmes raisons.

Avoir peur des mots

Vous me connaissez. Je ne parle jamais politique. Ou si peu.

Mais la controverse entourant le Moulin à paroles me laisse songeuse. Pas sur le caractère partisan de l’événement: chacun y trouvera sa chacune, comme disait ma grand-mère. Non, ce qui m’interpelle, c’est notre rapport à l’histoire.

Je vous l’ai déjà raconté: la crise d’octobre a joué un rôle déterminant dans ma vie. Le fait qu’on veuille relire des extraits du manifeste du FLQ ne me gêne pas. Octobre 70 fait partie de notre histoire, tout comme la révolution tranquille, les jeux olympiques ou les élections à répétitions… Avons-nous si peur des mots? Avons-nous si peur de notre histoire? Pensons-nous qu’édulcorer le passé le rend plus acceptable? Moins dangereux?

Nous avons, comme société, nos côtés sombres. Nous avons eu nos histoires pas belles, pas jolies, nos moments moins glorieux. Tout comme nous avons eu nos moments forts, ces moments ou on se sent fiers d’appartenir à cette société qu’est la nôtre. Dans notre histoire collective comme dans nos histoires personnelles, y’a des événements qu’on souhaiterait peut-être oublier, mais qui ont exister. On peut toujours nier, mais la réalité demeure.

Au fond, qu’est-ce qui est le plus subversif? De lire un texte comme le manifeste, ou de l’ignorer? Et pour qu’on se comprenne bien,  je ne prends pas position ni pour un camp, ni pour l’autre. Il y a des dérapages de chaque côté, à mon avis. Bien des mots inutiles.