6e semaine de confinement. Après un certain engourdissement, tant physique que cérébral, je sens que je retrouve un semblant de vie, pour ne pas dire de vivacité. 6 semaines à regarder aller mon monde, à être, comme l’immense majorité des Québécois, en attente de la messe de 13h00. Et à essayer de trouver un sens à tout ça.
Mon ami Clément a le don de me forcer à réfléchir. Même quand je pense ne rien avoir à dire. Ouais, il est fort comme ça, mon ami Clément. Après avoir lu ce magnifique texte – https://remolino.qc.ca/2020/04/21/sincerite-moi-aussi/, je me suis imprudemment avancée à lui promettre de répondre à ses questions.
Clément a fait sa réflexion à partir de sa perspective politique. Mais vous me connaissez, je ne parle jamais politique. Ou si peu… Ceci dit, c’est surtout vers une réflexion profondément personnelle, mais aussi sociale, que mes pensées m’ont amenée.
Alors pour toi, Clément. Grâce ou à cause de toi!
Qu’est- ce que cette crise m’a permis d’apprendre?
D’un point de vue personnel, que ma longue période plus sombre en 2018 m’a préparée, bien imparfaitement, à ce confinement. Je suis résiliante, plus que je ne le croyais. Ne pas fréquenter plein de monde ne me manque pas. Mes petites escapades à l’épicerie, les discussions à distance responsable avec les voisins quand il fait assez beau pour sortir comblent pleinement mon besoin de socialisation, alimenté par les réseaux sociaux.
J’ai toujours pratiqué la gratitude comme vertu cardinale de mon existence. Encore plus maintenant. Je suis reconnaissante d’avoir un emploi qui me permet de faire du télétravail (sur lequel je reviendrai), un chum qui est devenu un monument de zen, une ado qui tout à coup s’est transformée en adulte responsable et qui vit quand même bien cet interruption de son adolescence, et depuis peu, le retour du fils qui ajoute à la vie de la maison. Tout ça dans un environnement qui nous permet de ne pas nous piler sur les pieds. J’admets que je serais probablement moins zen prise dans un 4 et demi au centre-ville, avec pour toute perspective le balcon du voisin.
Je suis aussi reconnaissante d’avoir arrêté de travailler avant que Montréal ne soit vraiment en crise. Les derniers jours dans le métro, l’inquiétude faisait partie de mon quotidien. Je pense quotidiennement à ceux et celles qui n’ont pas ma chance.
Cette crise m’a aussi conforté dans l’idée que c’est dans l’épreuve que les gens se révèlent. Et que comme société, on va du meilleur au pire, parfois dans la même journée. Et que ce qu’on encense le matin devient l’objet de critiques acerbes en soirée.
Je crois également que ça nous a pris du temps pour prendre la mesure réelle de ce qui nous arrivait. Et que même encore, je ne suis pas convaincu que nous réalisons exactement que notre vie ne sera plus la même. Probablement parce que nous n’avons jamais été confrontés à une telle crise sanitaire.
Quelles questions la crise m’a amené à considérer sous un autre angle? ou à juger plus ou moins prioritaires — et pourquoi?
Évidemment, nous ne pourrons pas faire l’économie d’un vrai débat sur la santé. J’écoutais ce matin Alexandre Taillefer dire que pour lui, c’était désormais clair: plutôt que de finir en CHSLD, il souhaitait avoir accès à l’aide médicale à mourir s’il perdait son autonomie.
De récentes décisions judiciaires nous avaient amené à initier ce débat sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Ce débat sera nécessairement dorénavant teinté de l’horreur maintenant publique de la réalité des résidences pour personnes âgées. Toutefois, je souhaite que nous ayons la même sérénité que lors du premier débat sur le sujet.
Oui, certains CHSLD sont des endroits où les aînés sont parqués. Et le plus souvent, les soins y sont adéquats. La crise a mis en relief le manque de personnel, mais surtout le manque de reconnaissance envers celles et ceux qui ont pris le relais de famille qui ne peuvent, ou ne veulent s’occuper de leurs aînés. Bien sûr, s’occuper d’un aîné atteint d’une maladie dégénérative, de déficience cognitive, d’Alzheimer demandent une expertise que nous n’avons pas. Je ne suis pas prête à blâmer les familles qui font ce choix.
Il faudra faire toutes les nuances, poser toutes les questions et surtout, surtout, ne pas chercher à identifier un coupable. Nous le sommes tous, collectivement. Tout comme on s’est collectivement réveillé sur la DPJ après le meurtre sordide de la petite fille de Granby, nous venons de nous réveiller, collectivement, sur l’état de situation des personnes âgées.
Il faudra aussi faire des débats déchirants sur le panier de services. On veut tout, tout le temps. Est-ce raisonnable de penser qu’on peut tout avoir, tout le temps? Qui fera les arbitrages entre le nécessaire financement de la recherche, le financement des soins de santé, celui des services sociaux, etc… et ce qu’on veut mettre en environnement, en transports, en éducation, etc… toutes missions essentielles confondues?
Et Clément, ne t’en déplaise, le débat sur le futur statut politique du Québec m’apparaît comme bien peu prioritaire. Pas par conviction, crois-moi. Mais surtout parce que je ne suis pas convaincue que même indépendant, la gestion de cette crise aurait été plus efficace. Mais peut-être que je me trompe.
Quelles sont les convictions que ça a renforcé chez-moi et celles qui se trouvent ébranlées — et pourquoi?
Ma foi en la nature humaine a été à a fois renforcée et ébranlée. Bien sûr, les niaiseries montées en épingles dans les média m’ont parfois fait pousser des soupirs à déménager les meubles du salon dans la cuisine… bien sûr, les théories du complot ne cessent de m’étonner.
J’ai aussi la conviction intime que nous avons, en temps de crise, un besoin collectif de s’identifier à un héros, conviction renforcée par notre attitude. Le tandem Caillé-Bouchard du verglas. Le trio Legault-Arruda-McCaan de la pandémie. Le problème, avec les héros, c’est de durer dans le temps. Parce que si on aime moins nos héros, nous serons moins tenté d’obéir aux ordres…
La crise aura aussi renforcé cette conviction que nos gouvernements et que nos concitoyens ne réagissent que lorsque l’horreur frappe. La situation des CHSLD, tout comme celle de la DPJ, ne sont pas nouvelles, mais elles ont été ignorées. Ce que Jean-Luc Mongrain appelait l’huile sur la roue qui grince. On s’indigne collectivement, comme on fait du pain tout le monde en même temps… Ricardo aux fourneaux ou Legault au Parlement, même combat!
Je suis également convaincue que nous sommes nos propres freins quand vient le temps d’accélérer le tempo. À preuve, la vitesse avec laquelle le gouvernement fédéral a mis sur pied les prestations d’urgence, avec comme motivation « le mieux est l’ennemi du bien » et qu’à force de chercher la perfection, on n’aboutit jamais. Oui, il y aura des dérapages et des choses à rectifier, après. Mais je suis plus qu’agréablement surprise, surtout considérant que c’est le même gouvernement qui n’a toujours pas réussi à régler Phénix, même après 4 ans…
D’autres convictions ne sont pas encore ébranlées, mais pourraient l’être en sortie de crise. J’aimerais croire que nous aurons la maturité pour faire les débats qui nous attendent, que la solidarité dont nous avons fait preuve ne s’effritera pas au contact de nos intérêts particuliers.
Comment cela a transformé l’homme (politique?) que je suis — et quels effets ça aura sur mon discours et sur ma façon d’agir?
Je n’ai jamais été outrageusement partisane. Et ma plus belle surprise est que la classe politique, à quelques exceptions près, a laissé de côté, jusqu’à présent, les jeux politiques, les intrigues de coulisses et les autres niaiseries qui discréditent le métier de politicien. J’aimerais que ça se poursuive, mais c’est utopique de penser ça, je le sais.
Par contre, je crois sincèrement que la manière de faire de la politique sera changée. Parce que les citoyens, qui ont vu autre chose pendant cette crise, ne permettront pas un retour à de la petite politique partisane.
C’est ce discours que j’aimerais tenir. Celui qui prône le rassemblement, la recherche du point commun, l’argument qui convainc plutôt que l’argument qui détruit. L’ouverture aux autres, l’écoute plutôt que la parole.
Je m’impliquerai également plus au travail, dans la recherche de solutions qui permettent de mieux concilier le travail et la famille. Le gouvernement a pris, dans certains ministères à contre-coeur, le chemin irréversible du télétravail. Le virage de l’évaluation en fonction des livrables plutôt que de la présence au bureau. J’ai envie de mettre mon expérience de gestionnaire au service de mes collègues encore plus que je l’ai fait depuis mon retour à la fonction publique.
Voilà. C’est long, très long. Désolée Clément. J’essayerai d’être plus succincte la prochaine fois!