Dans ma vie pré-conciliation travail/famille, j’ai eu la chance de vivre des expériences qui m’ont profondément marquée. Non, je ne vous raconterez pas ma brosse à la Vodka pure (pas par pudeur, mais dites-moi, vous en connaissez beaucoup des gens qui ont des « souvenirs » d’une brosse à la Vodka pure, vous?). Pas plus que je ne vous entretiendrez de mes folles nuits de célibataire en goguette (m’a me garder une p’tite gêne, si vous n’y voyez pas d’inconvénients… et même si vous en voyez, too bad!)
J’ai travaillé 5 ans au ministère de l’Immigration. 5 années à voir du meilleur et du pire de la nature humaine. 5 années à me demander si ce que nous faisions avait un sens. Jusqu’au jour ou le Kosovo est arrivé. Le Kosovo m’a appris les limites, mais surtout les grandeurs de l’Homme.
Ce furent 7 semaines intenses. Le Canada ayant décidé d’accueillir 5000 réfugiés en provenance du Kosovo, je me suis retrouvée, un lundi de Pâques, catapultée au sein d’un comité chargé de planifier leur arrivée. Premier choc: la Défense nationale et les Affaires étrangères, c’est plein de vieux monsieurs imbus de leurs responsabilités, mais qui n’ont aucun sens pratique… Je me suis bien vite fait une réputation de « mouche du coche ». Mais que voulez-vous (tiens, ça me rappelle vaguement kekun, ça…) je suis une pratico-pratique, moi. Aller chercher 5000 réfugiés dans des camps, alors que chaque soir, au Téléjournal, Bernard nous parle d’épidémie de choléra possible, moi je veux bien. Mais ou donc est Santé Canada???? Hum… Et tant qu’à poser des questions qui dérangent, on va les mettre ou, nos nouveaux amis? Sur des bases militaires.. ah!… et on fait quoi avec les enfants? On a des couches? Comment des couches??? C’est que… des enfants… surtout des poupons… ben les toilettes chimiques, c’est pas approprié tellement…On a des psychologues? Des gens spécialisés dans l’accueil de gens profondément traumatisés? Me semble qu’après avoir marché un mois, être abouti dans un camp de réfugiés à partager 3 pieds carrés avec 12 autres personnes, si quelqu’un m’offrait un semblant d’aide psychologique, j’apprécierais peut-être… Enfin, vous voyez le genre…
On a eu 3 semaines pour tout préparer, penser à tout, de la sécurité nationale (on allait quand même pas ramener de dangeureux terroristes, hein! Comme si, en 1999, on savait ce qu’étaient des terroristes… ) à l’installation des bases militaires pour y accueillir des familles, les provisions de vaccins, la collecte de jouets, les papiers… Des semaines à travailler jour et nuit, à côtoyer des gens extraordinaires, fonctionnaires, bénévoles de la Croix-Rouge, militaires, qui n’avaient qu’une pensée: donner du réconfort physique et psychologique à des gens qui venaient de traverser l’enfer.
J’ai eu le privilège d’être là quand le premier avion en provenance de la Macédoine est arrivé à Trenton. Tout au long du voyage, le pilote avait gardé le contact avec nous: un homme très âgé, que nous avions quand même choisi d’amener pour le garder avec sa famille, donnait des signes qu’il supportait bien mal le voyage. Au point qu’on nous avait demandé d’avoir une ambulance prête à tout lorsque l’avion se serait posé. Je n’ai pas de mots pour décrire l’émotion qui m’a habitée quand l’avion s’est finalement arrêté près du bâtiment d’accueil… Ce vieillard a refusé la chaise roulante qui l’attendait, et a tenu à marcher la distance entre l’avion et le bâtiment. Tout au plus 200 mètres, mais qu’il a pris 30 minutes à parcourir. Et qui m’a dit, en passant à côté de moi (évidemment, l’interprète a traduit) que même s’il ne lui restait rien, il avait toujours sa dignité. Et qu’un homme, un vrai, va à la mort debout.
Des images, en vrac, me sont restées. Un livre magnifique a été produit après l’opération d’accueil. Mais les plus belles images, elles sont dans ma tête. Un jour, peut-être, je vous parlerai de cet enfant qui, spontanément, s’est jeté dans les bras d’un militaire à sa sortie de l’avion, ignorant superbement la rangée de dignitaires qui l’accueillait. Un vrai militaire, un tough là. Et de la larme que le militaire a essayé, discrètement, de faire disparaître de sa joue. Ou de ces jeunes soldats, à peine sortis de l’adolescence, réquisitionnés à une base militaire de la Nouvelle-Ecosse, berçant tendrement de jeunes enfants dans une garderie improvisée. Ou du bébé qui est né le lendemain de l’arrivée de ses parents, et à qui on a donné un prénom signifiant Espoir.
A chaque fois comme aujourd’hui, quand j’ai le goût de me plaindre de ma fatigue et de mes problèmes de maman gâtée, je repense à ce vieillard. Ou à ces enfants et à leurs parents.