Avoir un enfant quand on a 40 ans apporte, avec la joie incommensurable de découvrir la maternité, son lot d’angoisses et d’inquiétude. Tout au long de la grossesse, une petite voix intérieure pépie sans cesse, rappelant les statistiques des maternités tardives : risques plus élevés de fausse couche, risques plus élevés de grossesse gémellaire, risques plus élevés de prématurité, risques plus élevés de malformations congénitales, risques plus élevés pour la santé de la mère – diabète, hypertension, pré-éclampsie, etc… Bref, malgré toute la sérénité que vous cherchez à vous imposer et à atteindre, la petite voix ne sommeille jamais tout à fait.
Puis, à la naissance de votre merveilleuse merveille, vous vous empressez de compter et recompter les doigts, les orteils et les oreilles, question de vous rassurer. Votre bébé boit bien, vous vous dites que dans une ancienne vie, celle avant celle ou vous étiez une serviette de plage, vous avez dû être nourrice: pas de gercures, pas de mamelons douloureux, pas de montée laiteuse horrible, pas de mastite et autre cochonnerie. Vous allaitez, satisfaite de penser que vous donner le meilleur de vous-même à votre enfant. Qui, par ailleurs, a une santé de fer: quelques rhumes ici et là. Vous n’avez jamais passé une nuit blanche pour cause d’otites ou autres maladies infantiles. Oh!, elle a eu sa part de maladies d’enfants comme la scarlatine, la roséole et autres, mais sans plus. Elle est résistante. Et vous êtes infiniment reconnaissante à la vie.
Elle grandit. Les circonstances font que vous lui imposez un déménagement et un ou deux changements de garderie. Son « terrible two » est « terrible ». Ca provoque de nombreuses discussions viriles avec votre conjoint, qui vous reproche, non sans raison, d’être trop « molle » avec elle, alors que vous lui reprochez l’inverse. Vous allez consulter, un peu pour vous assurez que tout va bien et beaucoup pour vous rassurer sur vos compétences parentales. Parce que la petite voix se fait plus forte.
Au troisième changement de garderie, vous vous dites que cette fois c’est la bonne. Elle est encadrée, elle adore être stimulée par les différentes activités et les éducatrices, et plus encore la directrice, sont adorables et travaillent littéralement avec vous pour « contrôler » le caractère bouillant de votre fille. La petite voix s’essoufle et prend une pause. Jusqu’à quelques méga-crises ou la directrice de la gardo vous suggère d’aller reconsulter.
Vous ressortez de la rencontre chez la neuropsy avec un diagnostic potentiel de TDAH. Au fond, vous savez qu’elle a raison. Vous vous raisonnez en vous disant que c’est un débalancement chimique, pas un problème de santé mentale. Je n’ai pas de préjugé envers la maladie mentale, comprenons-nous bien. Que s’il le faut, elle prendra des médicaments, oui celui qui fait si peur et qui commence par « R ». Si on vous avait annoncé que votre merveilleuse merveille fait du diabète, vous auriez sans hésiter vous-même enfoncé l’aiguille d’insuline dans sa cuisse tous les matins, non? Plein d’enfants ont des trucs salement plus moches que ça, certains parents vivent l’enfer sur terre avec des enfants malades. La vôtre est pétante de santé, elle n’a besoin que d’un peu d’aide pour être mieux dans sa peau de petite fille.
Avant de peser sur le bouton de panique, vous vous dites que vous irez faire confirmer le diagnostic par une batterie de tests, et que vous documenterez sur le sujet pour trouver le meilleur traitement, y compris la médication. Après tout, vous êtes une femme qui en a vu d’autres, et vous êtes faites forte. Et puis, vous avez la chance ultime de ne pas être seule, mais d’avoir un conjoint/papa qui, plus que tout, adore sa famille. Un mammouth qui sera là, quoiqu’il arrive, et qui vous laissera cheminer à votre rythme dans ce chemin dont il soupçonnait déjà la présence.
Vous savez tout ça. N’empêche, votre coeur est brisé et les larmes coulent sur vos joues. Votre fille, que vous aimez plus que tout, est différente. Pas beaucoup, juste un peu. Et ce n’est pas cette différence qui vous embête, pas plus qu’elle ne vous fait honte. Comme toutes les mères, vous auriez tant voulu éviter à votre enfant le moindre caillou sur sa route.
Je me donne le droit d’être triste et d’avoir de la peine. Pas de faire pitié. Parce que nous ne faisons pas pitié. J’ai juste le coeur gros. Plein d’amour pour ma merveilleuse merveille si vive, si intelligente, si démone parfois. Et pour une fois, j’ai pas envie de dire merci. Juste « shit »…