Du plus loin que je me rappelle, août a toujours été mon mois préféré.
Bien sûr, j’aime le printemps. Sentir l’odeur de la terre qui se réchauffe, celle des lilas, apprécier les jours qui rallongent, entrevoir les possibilités d’un été extraordinaire, j’aime. Mais pas autant qu’août.
J’aime aussi juillet. La foule des festivals, la chaleur moite, l’indolence de la grande ville, la tranquilité des tours à bureaux du centre-ville, la 15 désertée de ses usagés pressés, la pensée magique de l’hiver qui ne reviendra peut-être jamais. J’aime. Mais pas autant qu’août.
J’aime l’automne. Les premières journées fraîches, quand on sort le chandail de laine à col roulé, le premier feu qui embaume la maison, les virées aux pommes ou aux courges. Le premier pot-au-feu avec les légumes racines, bien chaud dans l’assiette avec un pain croûté et un verre de rouge. Les joues froides de ma fille quand elle rentre de dehors, amenant avec elle l’odeur des feuilles en décomposition. J’aime. Mais pas autant qu’août.
J’hais novembre. Mais ça, c’est une autre histoire. J’hais décembre itou, mais je me suis réconciliée avec la période des fêtes depuis que je suis mère. Janvier et février me laissent… de glace. Mars, c’est l’espérance que bientôt, ce sera août.
J’aime août. La lumière n’est plus la même. Moins crue, plus douce. Les fleurs, lourdes, embaument dans le jardin. Les fines herbes aussi, sur le patio. Le chant des criquets ponctuent les soirées. Au marché, c’est l’abondance, l’orgie de couleurs, de saveurs, d’odeurs. Bientôt, dans quelques semaines, on fera notre weekend annuel de mise en conserve de sauce tomates, question de se rappeler, dans les grands froids de janvier, à quoi goûte l’été. J’aime août parce que c’est à ce moment que je prends mes vacances, et qu’il y a moins de monde partout, malgré la fébrilité croissante de la rentrée toute proche. En fermant les yeux, je sens l’odeur des crayons de bois aiguisés, prêts à reprendre du service, qu’on achetait à La Baie pour la rentrée de septembre.
J’aime août. Ses odeurs. Ses sons. Ses couleurs. Ses saveurs. J’aime août.
J’aime août. Un jour, il y aura 13 ans cette année, j’ai pensé que je n’aimerais plus jamais août. Un jour magnifique d’août, le verdict est tombé: cancer, sans traitements possibles, uniquement des médicaments pour soulager la douleur. Le weekend d’avant, il jouait au golf. On blaguait. 11 jours d’août, de chaleur étouffante, dans une chambre d’hôpital pleine à craquer de gens venus faire leurs adieux. Cette année là, août n’a pas eu d’odeurs, ni de saveurs. Ce août là, y’avait de la brume. Dans mes yeux, dans mon cerveau. Quand mon père est décédé, j’ai pensé que je n’aimerais plus jamais août, tant ma peine était grande et tant le vide était immense. Le vertige qu’on anesthésie dans le travail. L’alcool. Les rencontres sans lendemain.
Mais j’aime août. Un jour, il y aura 4 ans samedi prochain, ma fille, ma merveilleuse merveille, naissait. Avec elle, août a retrouvé ses couleurs, ses odeurs, ses sons et ses saveurs. Mais dorénavant, août a aussi une pointe de nostalgie: j’aurais aimé que mon père et ma fille se connaissent. Il aurait été fou d’elle. Elle l’aurait adoré. Malgré tout, parce que je peux partager avec elle mon amour de ce mois d’abondance, j’aime août.